Du repliement partiel à l’évacuation totale
Le 1er
septembre 1939 à 13h39 tous les préfets des régions concernées par la mesure et
l’accueil des réfugiés sont destinataires du
télégramme ordonnant le déclenchement du plan d’évacuation totale des communes situées entre la frontière
et l’avant de ligne Maginot. Alors que l’instruction provisoire
signée le 11/2/1922 par André Maginot
ministre de la Guerre n’envisage qu’une protection individuelle contre
les bombardements aériens des population des villes, des personnels des gares
et des établissements industriels du territoire national, le plan d’évacuation
de la « Zone rouge » (1) a
pour objet de prévoir et d’organiser l’évacuation de la population civile ainsi
que la récupération des ressources
Evolution du plan
d’évacuation Entre l’instruction provisoire et
le déclenchement du plan d’évacuation, le champ des préoccupation des
autorités n’a cessé d’évoluer et de nombreuses études , circulaires, instructions, générales,
particulières, se sont succédées
à un rythme effréné jusqu’à la veille de la guerre. A compter de 1923, différentes
hypothèses sont étudiées en vue de l’élaboration d’un plan de repliement
non pas de la population mais des ressources industrielles et financières du
pays. Le repliement doit en
effet permettre de déplacer les ressources (personnels et matériels)
transportables sur lesquels l’ennemi, soit par son aéronautique, soit par son
artillerie pourrait avoir un pouvoir de destruction ou de mainmise. Il a également pour but de maintenir
sur place les ressources qui pourront être utilisées par les armées ou servir à
assurer la vie des populations. Trois situations sont alors
envisagées. - d’abord le repliement préventif applicable à
toutes les régions frontalières accessibles par les activités d’un ennemi
virtuel, - puis le repliement ferme
sous nos frontières terrestres ou maritimes menacées sur toute la profondeur où
les ressources peuvent être détruites en totalité ou en partie et enfin le repliement éventuel
visant les ressources concernées directement par la Défense nationale. L’étude générale est adressée aux
différents départements ministériels le 5 avril 1924 en vue de l’établissement
d’un plan de repliement fixant les zones concernées . Les agglomérations de Lyon, Saint-
Etienne, le Creusot et Paris en seront exclues suite à un avis émis quelques
jours plus tard par la Commission d’étude du Conseil Supérieur de la
Guerre préconisant pour elles des mesures de
protection spéciale Jusqu’à cette date, les diverses
études portaient sur deux types de
mesures de repliement à savoir : : a) mesures de repliement ferme applicables automatiquement à la mobilisation et
prescrivant : –dans la zone de repliement ferme,
l’évacuation des organes et ressources intéressant seulement la Défense
nationale ; –dans la zone de protection
spéciale, l’évacuation des objets précieux, peu volumineux et facilement
transportables. b) mesures de repliement éventuel prévoyant
dans les deux zones celui des organes, ressources et populations intéressant la
Défense national qui auraient été maintenus sur place après exécution du
repliement ferme. Mais cette distinction entre le repliement ferme et
éventuel sera abandonnée à partir du 8 avril 1925, dès lors chaque zone disposera d’un plan de
repliement dont les compléments naturels seront le plan de maintien sur
place et le plan de destruction de la zone. Seule l’évacuation des fonctionnaires et les employés privés
faisant partie d’organisme repliés en bloc est envisagée. Les études entreprises par
les départements ministériels intéressés
conduiront en décembre 1927 à la
rédaction d’un projet d’instruction provisoire sur le plan de
repliement. Le travail qui nécessita une collaboration avec les
maires et les industriels souleva bon nombre de remarques dont la pertinence
eut pour effet de ne plus retenir le
repliement ferme. En effet, compte tenu des progrès de l’aviation, la sécurité des
personnes transportées à l’arrière n’était pas absolue. De plus, même bien préparé, le repliement ferme des
régions frontalières au début d’une mobilisation s’avérait extrêmement délicat
à réaliser d’autant qu’il serait
nécessaire de le préparer dès le temps de paix dans tous les détails. En outre, la connaissance qui
s’était répandue était de nature à jeter un certain trouble dans l’esprit de la
population et notamment dans celui des industriels de l’Est qui pouvaient
croire à l’idée préconçue d’un abandon de territoire. Ces différentes considérations conduisent alors à une
nouvelle étude avec une nouvelle
orientation d’où ressortent un projet de plan de mise à l’abri concernant plus particulièrement des mesures
pour abriter les personnes sur place et un plan de dispersion
impliquant des déplacements limités. Ainsi, la notion de repli ne
s’impose plus comme la seule mesure et les populations ne risquent pas d’être
alarmées. L’établissement d’un plan de mise
à l’abri permet en outre, sans inquiéter personne, de réunir un certain nombre
de données nécessaires à l’élaboration des programmes de repliement. Naturellement le secret doit
toujours entourer les travaux d’élaboration des plans. Leur préparation doit
être faite aussi discrètement que possible.
Pour ce faire des instructions particulière sont données : » »
Seuls les fonctionnaires des administrations centrales, les autorités
préfectorales et militaires seront concernés par cette préparation. Ils ne devront demander aux
particuliers aucun renseignement susceptible de faire naître une inquiétude.
Ils devront effectuer le travail à partir des statistiques des différents
départements ministériels. Il faut éviter l’emploi du mot
repliement » » L’effort est par conséquent porté sur la protection des personnes et des
ressources par la dispersion. Du
même coup le titre du projet d’instruction provisoire des plans de
repliement :devient « Instruction
provisoire sur les mesures de sauvegarde à prendre en
cas de guerre dans les parties du territoire nationale exposées aux atteintes
ennemies. » Bien qu’intégrant le problème dans sa globalité les questions
sur la protection du territoire national suscitent toujours de nouvelles études
afin de définir les limites des zones, les ressources à évacuer, les méthodes
pour la protection des populations civiles ainsi que les modalités
d’application. La rédaction d’un plan
général, susceptible d’être appliqué en cas de conflit s’oppose à des grandes
difficultés en raison d’un manque de collaboration entre les différents
départements ministériels. L’Instruction
provisoire sur les mesures de sauvegarde à prendre en cas de guerres dans les parties du territoire national
exposées aux atteintes de l’ennemi. » voit néanmoins
le jour en janvier 1930. Sur
demande du
vice-président de la Commission d’étude du Conseil Supérieur de la Guerre
elle fera l’objet d’une étude d’ensemble plus complète et surtout moins
théorique, de plus elle et devra
préciser la question de la protection des populations civiles. Une première Instruction Générale et des instructions
secrètes du ministre de l’Intérieur. Le 21 janvier 1931, les préfets de France sont destinataires d’une
lettre exposant les mesures de sauvegarde à prendre en cas de guerre Dans l’ instruction rigoureusement
secrète jointe le gouvernement a fixé
les principes généraux devant servir de
base à la préparation des deux mesures
prévues à savoir : la mise à l’abri et le repliement. Il
incombe aux préfets de préparer l’étude de l’une et l’autre mesure en tenant
compte de leur but différent : -La mise à l’abri
constituera une opération purement locale qui ne devra inquiéter personne et
qui ne nécessitera aucune coordination à l’échelon des administrations
centrales. Pour les ressources matérielles il s’agira surtout des objets
précieux, faciles à transporter ; œuvres d’art, archives, bibliothèques,
stocks de marchandises coûteuses etc. -Le repliement, nécessitera en revanche une coordination
entre les administrations centrales. C’est à chaque ministère qu’il
appartiendra de donner des directives aux représentants départementaux.
Cependant, c’est au préfet qu’incombera le soin de provoquer la mise en œuvre
de ces programmes et d’en assurer la coordination indispensable en vue de
l’établissement du programme général de repliement dont il a la charge. En décembre 1933 un rapport secret
tire des conclusions générales sur la situation française face à celle de
l’Allemagne et de l’Italie. Il apparaît que la
France est fortement handicapée par rapport aux trois grandes puissances
qui sous l’inspiration de doctrines modernes préconisent une offensive
aérienne. Alors que nos voisins n’hésitent
pas à impliquer la population et à entretenir la psychose de la guerre. on continue à étudier le problème et d
‘imprimer des circulaires et des instructions dont le contenu doit rester
secret. En 1935 d’importants
événements s’enchaînent sur la scène
internationale ; Hitler est au pouvoir et la Sarre a voté pour son
rattachement à l’Allemagne. Le 11 mars 1935, Goering annonce la réorganisation de son
armée ; le 16 mars 1935 Hitler
déchire le traité de Versailles et annonce le rétablissement du service
militaire obligatoire. En France, le service militaire
est porté à 2 ans et la préoccupation pour la sauvegarde des
ressources reste une priorité. Les autorités prennent peu à peu conscience de
la nécessité de prévoir et d’ordonner des mesures dans le calme et en temps de
paix au lieu d’être contraint d’improviser dans la fièvre du danger ;
l’improvisation étant synonyme de désordre et de panique. Une tendance pour une meilleur
protection de la population civile se
dessine alors par les mesures de repliement permanent ou lointain
et de dispersion quotidienne. Les études vont continuer dans ce
sens sans oublier qu’il faut élargir la notion de repliement, de dispersion et
de mise à l’abri à l’ensemble de la population menacée en cas de conflit
ouvert. Le 18 juin 1935,
Pierre Laval signe une nouvelle
Instruction Générale sur les mesures de sauvegarde, une Instruction
Particulière sur le repliement des régions menacées, et une Instruction
Pratique sur la défense passive. Il est prévu la dispersion de 71 villes de 17 département
du Nord et de l’Est de la France et l’hébergement de 400 000 évacués dans les
deux départements de Savoie. L’instruction du 10 mai
1936 .Pour la première fois le mot « évacuation »
est employé avec la définition fondamentale suivante : » »L’évacuation
est une mesure d’ordre militaire consistant dans le retrait à l’arrière des
populations de la zone de combat des armées. Cette mesure est destinée à,
permettre la mise ne place de la couverture et, éventuellement, la mise en
œuvre des plans de feux. » Elle constituera des « mouvements
préparés fermes « dont l’exécution sera obligatoire et automatique. L’instruction du 10 mai 1936 est
particulièrement élaborée. Les
modalités de départ, de transport et d’organisation des convois sont arrêtées. Les domaines de compétence des
autorités civile et militaire sont précisés, mais les maires, maillon
indispensable du dispositif, n’ont pas
été totalement informés des mesures partielles ou globales contenues dans les
diverses instructions. Un Plan d’évacuation
particulier à la zone frontière de la 20° région militaire, annulant et
remplaçant celui du 20 décembre 1935
prend effet le 1er mai 1937 . Il a pour but essentiel de dégager les abords de la position de couverture
afin de permettre au Plan des feux de jouer sans servitude d’aucune sorte. Ce qui signifie en clair évacuation totale de la région. Ce plan d’évacuation
est des plus complets. Rien n’est pourtant figé ; d’autres études vont suivre et seront encore
plus détaillées et plus précises. Pour le moment le secret reste toujours en
vigueur mis à part certains extraits strictement indispensables aux autorités
subordonnées. Les quelques expériences
menées en 1938 en France pour
tester l’application des mesures du
plan d’évacuation font dire qu’une interprétation trop étroite des
instructions, un formalisme excessif, n’ont pas simplifié la tâche des préfets. De plus, dans toutes les régions frappées d’évacuation totale, de
repliement, d’éloignement et de dispersion,
les moyens de transports et les capacités des chemins de fer n’avèrent
insuffisants pour acheminer tout le monde en même temps. Il faudra par conséquent temporiser et créer
des étapes successives jusqu’à la destination finale des évacués. Le 1er juillet 1938,
l’Instruction Générale du 18 juin 1935, l’Instruction Particulière de la même
date, l’Instruction Spéciale du 10 mai 1936, et l’Instruction Secrète du 6
novembre 1937 sont refondues dans un document unique. Le 21 novembre 1938, l’état-major de l’armée met en évidence,
suite à la mobilisation partielle, la nécessité de procéder à une révision du
plan d’évacuation et de repliement afin qu’il soit tenu compte : -de la nécessité de préciser les
attributions des différentes autorités intéressées par les mesures de
sauvegarde ; -des défectuosités qui se sont
révélées dans le système lors des exercices ; -de l’ampleur excessive des
mesures d’évacuation et de repliement souvent incompatibles avec les moyens
limités dont il sera possible de disposer dans la période où elles
s’exécuteront. Les modifications de
dernière minute De nouvelles modifications sont
apportées au plan particulier à la 20°
région militaire et de nombreuses modifications doivent encore intervenir
afin d’adapter les mesures à la situation du moment. En effet, comme on craint l’entrée
en guerre de l’Italien il faut éloigner le plus loin possible la population
civile des zones frontières et donc
modifier les zones d’hébergement et de correspondance. Une nouvelle instruction générale de sauvegarde : l’IGS 38/39 Ce
document d’une centaine de pages, rédigé par la Direction générale de la Sûreté
nationale, doit rester secret en dehors des préfets et des autorités
militaires : « Toute personne qui détient le présent document sans
avoir la qualité pour en connaître est passible des peines prévues par les lois
relatives à la répression de
l’espionnage » ». L’instruction
diffusée début 1939 doit entrer en
vigueur à la fin de l’année, la date doit être fixée par l’état major de
‘l’armée et transmise aux préfets par les généraux commandant les régions
militaires. Ce nouveau
plan qui devait être établi avant le 1er
octobre 1939 par les préfets en liaison avec l’autorité militaire régionale
restera inachevé et pour cause…. Le 1er
septembre 1939, en milieu d’après midi, en Moselle et en Alsace , les maires
des communes situées en « zone
rouge » réceptionneront les plis
E.Z.F distribués par les brigades de gendarmerie et découvriront alors tous les détails relatifs à l’évacuation de leur commune. v
Malgré toutes les modifications les mesures prévues pour le repliement
derrière la ligne Maginot furent presque satisfaisantes. Il est vrai que l’absence de bombardement et
d’opérations militaires ainsi que la
présence de la main d’œuvre militaire abondante facilita les opérations. Roland Gautier Vice-président de l'ASCOMEMO Sources : Fonds documentaire ASCOMEMO Drôle de guerre en
Moselle – H.Hiegel – Ed.Pierron - 1984 L’Evacuatio en
Lorraine 1939 – Marcel Neu – Ed.Pierron -1989 Saisons d’Alsace –
Revue trimestrielle –Automne 1989 – L’Exode – Nicole
Ollier – Robert Laffont -1970
[1] Zone comprise entre la frontière et l’avant de la ligne Maginot.
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