L'histoire
du camp de Peltre, annexe du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, fait
partie intégrante de l'histoire de ce camp central, de l'histoire des camps de
concentration et de notre Histoire. Il y a eu plus d'une soixantaine de camps
annexes du KL-Natzweiler, quelques uns en Moselle, mais seul l'Aussenkommando de Peltre a eu une
existence de plus de 17 mois sur le sol français, annexé à l’époque au Reich.
Peltre
est un petit village au sud-est de Metz, à huit kilomètres, sur la route de
Strasbourg. Les troupes allemandes entrent dans Peltre le 14 Juin 1940. Il ne
reste, après les expulsions du 19
Novembre, que 339 habitants (1). Les propriétaires de la ferme de "La
Horgne", la famille Grandidier, sont expulsés ce même-jour (2). Le couvent
des sœurs de la Providence de Saint André est d'abord réquisitionné par la
police allemande puis transformé en Reservelazaret
au début de 1942.
Forts
de leur expérience du terrible " hiver russe ", les Allemands
décident de renforcer la traction hippomobile par la création de nouveaux
centres de Remonte.
Dès le 11 Avril
1942, la 125e SS-Standarte de
Metz lance un appel à candidature auprès de SS anciens combattants et
handicapés de guerre, afin d'assurer l'exploitation des terrains, jardins et
cultures du site agricole attenant au château de Crépy (3). Celui-ci comprend,
en plus de ce bâtiment et de ses dépendances, les fermes de la "Cour
Haute" et celle de la " Cour Basse ". Ces terres sont la propriété
de la famille de Gargan qui en a été spoliée.
La
toute puissante SS, par son Reichsführer
SS et Chef de la police allemande via sa SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt, la Direction centrale SS pour
l'administration et l'économie SS, donne procuration au SS-Obersturmführer Peters pour, en tant que fondé de pouvoir,
prendre en charge les relations avec les services fonciers de Metz et la
gestion du domaine du château de Crépy (4). Le fermier d'alors, Monsieur Louis
Laurent, exploitant les terres de Crépy et Bürgermeister
de Pelters est congédié... Il doit s'installer dans la ferme vétuste du château
de Mercy. Il meurt le 11 Juin 1942.
Le
28 Mai 1942, la décision de créer quatre SS-Remonteamt
est prise par la SS-Führungshauptamt-Inspektion
Reit und Fahrwesen, la Direction du commandement de la SS-Inspection de la
cavalerie et des moyens de transports hippomobiles. Le village de Peltre est un
de ceux-ci, le seul et unique dans l'ouest de l'Allemagne. Il est noté qu'il
est créé pour « l'usage
exclusif » de l'artillerie
SS (5).
Il
est bon de rappeler que durant la première guerre mondiale, il y avait dans
Peltre un Festung Pferde Depot, un
dépôt de chevaux de la fortification de Metz, lequel fournissait en chevaux les
unités allemandes du front. Il y a eu parfois plusieurs milliers de chevaux en
pâturage dans le village.
Dans
une lettre du 1er août 1942, le nouveau maire de Peltre, un Allemand
nommé Otto Ulrich, rappelle au Landrat
de Metz que « la ferme de l'agriculteur
Albert Derdaine, doit être cédée au SS-Remonteamt »(6). Celle-ci est
la ferme de Ravinel, située au centre du village, au 27 de la rue de Gargan,
actuellement rue Principale.
Vraisemblablement,
l'administration SS a du prendre contact avec celle des camps de concentration
et a du solliciter les autorités du KL-Natzweiler-Struthof.
Aucun document n'est connu à ce jour. Si des documents en amont de
l'implantation d'un SS-Remonteamt à
Peltre existent, il y a peu de documents sur la mise à disposition de déportés
du KL-Natzweiler au kommando de Peltre. |
La
ferme de Ravinel (coll.AM Peltre)
|
Les
détenus, au nombre d'une cinquantaine, auraient été transférés du KL Natzweiler
à Peltre au mois de mars 1943. Cet effectif est confirmé par un Schutzhaftlagerrapport, rapport d'effectif
des détenus du camp, du 20 mars 1943 (7).
Aux
archives de Bad Arolsen (8), un effectif des Aussenkommando, kommandos extérieurs du KL Natzweiler, en date du
22 mai 1944 a été retrouvé. Il recense un effectif de 50 « Stück » pour l'Aussenkommando de Peltre. Ce petit bout de papier de quelques
centimètres carrés est l'autre rare document d'époque comportant la mention de
Peltre (8).
Le
chef du camp est, pour toute la durée de l'existence du kommando de Peltre, l'Oberscharführer SS René Roman. Il y arrive
le 18 mars 1943 (7).
Dans
un premier temps les déportés sont "
logés dans des baraquements délabrés (7) ", à côté de la ferme de la " Cour Basse " et donc à
côté du camp de prisonniers de guerre soviétiques qui est en bordure droite de
l'actuel chemin dit " de guerre ". De là, ils partent travailler dans
un premier temps sur le site de la ferme de Ravinel, afin d'y aménager leurs
futurs lieux de détention et leur dortoir. Les pièces sont étroites et basses
et le dortoir est une ancienne écurie. Les locaux de détention sont aménagés de
façon rustique (10). Ces châlits et quelques meubles sont certainement fabriqués
à Peltre-même car les SS ont installés une scierie à côté de la ferme de "
la Cour Basse ". D'autres pièces sont encore aménagées dans la ferme pour
les gardes SS, la plupart de jeunes SS roumains et hongrois (10). Lorsque ces
installations sont terminées, les déportés y sont transférés. Ils effectuent
aussi les gros travaux de la carrière du SS-Remonteamt.
Ces
travaux consistent en la construction des écuries, l'aménagement des bâtiments
de la ferme de "La Horgne" attenante , les travaux de
terrassement et la construction de la carrière d'équitation.
Arrivé
durant l'hiver 1943-1944, le déporté politique allemand Hermann E. Riemer
raconte :
"
J'avais été détaché à Pelters en qualité
de peintre, mais je dus d'abord partir avec le kommando et durant quelques semaines pelleter de la glaise visqueuse et lourde.
Il faisait froid, la glaise nous coulait d'en haut du corps jusque dans nos
chaussures et la pluie et la neige rendaient notre existence beaucoup plus
difficile. Nous pestions et jurions, mais cela ne servait à rien: le travail
devait être fait. On avait transformé une grande ferme, située à l'extérieur du
village en Remonteamt et maintenant
il s'agissait d'aplanir des terrains, d'enfoncer des pieux avec barbelés et de
construire des écuries pour accueillir les chevaux. Entre les deux il fallait
construire le chemin et assécher les terrains. C'était un travail de titan et
le kommando ne comptait que 50 hommes
(10)."
Fin
août 1944, il reste encore à poser une conduite hydraulique et à construire une
baraque (10).
"
Le travail était très dur, la faim
omniprésente, les étés 43 et 44 furent très chauds, l'hiver 43/44 très froid...
plus de 60°C d'amplitude thermique sur cette année. La petite taille du camp de
concentration permettait " d'organiser " quelques provisions avec
l'aide précieuse des habitants de Pelters. Deux des cuisiniers réussirent à
s'évader mais l'un d'entre eux fut repris et retourna au camp central (10).
"
"
Les malades et blessés légers furent
soignés par les sœurs de la Providence de Saint André, qui travaillaient au Lazaret... Les plus malades étaient renvoyés au camp central...jusqu'à ce que
les déplacements furent interdits du fait du rationnement... des pneumatiques
(10). " Il n'y a pas de décès signalé.
Le
31 août 1944, face à l'avance des troupes alliées, le SS-Remonteamt est replié et les déportés de l'Aussenkommando de Peltre doivent rejoindre le camp central, par une
marche de près de trois jours et sous la menace de mitraillage de l'aviation
US. Ils sont finalement récupérés par un véhicule SS qui les reconduit au camp
de Natzweiler (10).
Beaucoup
des déportés de l'Aussenlager de
Peltre sont transférés après un court passage par Natzweiler dans d'autres
camps de concentration, principalement ceux de Dachau et de Mauthausen desquels
ils ne sont libérés que respectivement les 29 avril et 5 mai 1945.
Du
8 au 15 novembre 2014, la commune de Peltre a accueilli l'exposition itinérante
initiée par le C.E.R.D. : " Un jour
la Liberté nous reviendra " et, à cette occasion, une plaque
commémorative a été apposée sur le mur à droite de l'entrée de la ferme de
Ravinel. Cette plaque rappelle que de "
mars 1943 à septembre 1944, des hommes ont été internés en ces lieux " et
invite à "nous souvenir". Madame
Valérie Dreschler-Kayser, ex Directrice du C.E.R.D, a tenu une conférence :
" De la Mémoire à l'Histoire
". (11)
Roger MUNSCH
Historien de Peltre (contact :munschrog@hotmail.fr
-- 03.87.74.19.06
Témoignages.
Hermann
E. Riemer a laissé cet extraordinaire témoignage de 18 pages sur le KL Pelters
dans son livre écrit dès 1947! Des prisonniers politiques Luxembourgeois
apportèrent leurs témoignages après guerre lors des procès des SS gardiens de
camp. Trois furent des déportés du camp de Peltre : Charles Braun (Mle
4153), Jos(ef) Hammelmann (Mle 2245) (13) , Hugo Roscani (Mle 18 201).(12).
**La
revue luxembourgeoise Rappel , dans
son n° spécial 40° année, retrace l'évacuation du camp de Peltre et le retour
vers le camp central de Natzweiler, avant le repli sur Dachau quelques jours
plus tard.
**Erny
Gillen autre déporté luxembourgeois, dans son livre " Sou wéi ech et erlieft hunn ! " ("Comment je l'ai vécu !
") cite le camp de Peltre.
**Le
gouvernement fédéral allemand, dans sa 6° Ordonnance d'application de la Loi
fédérale sur les indemnisations, décret du 24 Novembre 1982, stipule que «sont à considérer comme camp de
concentration, au sens de l'ordonnance du 29 juin 1956, les lieux de détention
suivants… » Ils sont au nombre de 1 634 et Peltre y figure sous
le n° 1133.
**Une
lettre dactylographiée par Jos Hammelmann, datée du 7 décembre 1945 et adressée
à Monsieur le Maire de Peltre, a été retrouvée récemment.
Notes.
(1)
" Enquête sur l’Histoire de
l’occupation et la Libération " dans le département de la Moselle.
(2)
Témoignage recueilli auprès de Melle Marguerite Thuillier en 2005.
(3) Fonds Georges Jérôme.
(4) AD 57 1W297D.
(5) http://forum-panzer-archiv.de
(6)
AD 57 : référence non relevée.
(7)
Robert Stegmann: in " Struthof, le
KL-Natzweiler et ses kommandos. Une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés
du Rhin, 1941-1945 ". La nuée bleue. 2005.
(8) C.I.R.D : Centre International de
Recherche sur la Déportation, de Bad Arolsen, RFA.
(9)
C.E.R.D. : Centre Européen du Résistant Déporté, sur le site de l'ancien camp
de Natzweiler.
(10) Hermann E. Riemer in " Sturtz
Ins Dunkel ". Funk Verlag München. 1947.
(11)
Voir le site de la Radio des Pays Lorrains, dont le journaliste Bruno Bronchain
a bien suivi l'évènement. http://rplinfo.overblog.com/2014/10/peltre-exposition-itinerante-bientot-la-liberte-nous-reviendra-du-08-au-15-novembre.html.
(12) in " Rappel ", revue luxembourgeoise de la " Ligue des
Prisonniers Politiques et Déportés ".
(13).Jos(ef)
Hammelmann fut Président du " Comité International de Mauthausen de 1986 à
1999.
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