Les pages d'histoire du Trimestre |
Extrait du carnet de notes du lieutenant
Gérard. |
Casemate
C12 B, 14 juin au matin: J’ai rendu compte à LAILLAT (commandant de
compagnie) à 4h des bruits de moteurs entendus au cours de la nuit. Il fait un
brouillard intense, nous nous couchons, il est 5h 15 environ. L’ennemi attaque la Ligne Maginot sur le front
du Secteur Fortifié de la Sarre à l’aide d’une masse formidable d’artillerie
légère, lourde, sur voie ferrée. A l’aide d’avions “Stukas”, de canons Flak de
88 mm, de canots pour le passage des étangs.
Le bombardement est intense, canons, avions
feront rage jusqu’à 20h30. Nous sommes au créneau, prêts. On distingue des
allemands dans le brouillard, je pointe
la mitrailleuse, donne la pièce à FLOREMONT en passant derrière lui. Au moment
ou FLOREMONT commence à tirer, nous sommes pris à partie par un engin que nous
ne voyons pas. Au troisième coup, le créneau est éventré. FLOREMONT m’a servi
de bouclier, j’ai eu le temps de me protéger les yeux, je suis légèrement
touché aux deux bras. Je viens d’éprouver une sensation très dure dans ma tête,
j’ai l’impression du vide, c’est
désagréable au possible. Les soldats FLOREMONT de Nancy, GALLO de Paris,
EBEL, PEIFFER, DELEAU, CHIPOT, caporal LEBRUN des Ardennes sont grièvement
blessés et forment une masse grouillante et noire. HOHWALD, touché à la
poitrine, semble avoir une côte cassée. STEPHENS, de Nancy (Est Républicain )
est légèrement blessé à la main.
Le groupe LEONARD est venu s’abriter dans C12B
au début du bombardement. CHIPOT a le bras droit coupé net et la jambe
droite fracturée, DELEAU les jambes broyées, GALLO ne parle plus, PEIFFER
semble touché au bas ventre et à une jambe, EBEL a une fracture ouverte de la
jambe, LEBRUN ne parle plus. Je ne vois rien. FLOREMONT me demande de l’achever
et doit mourir aussitôt après. L’obus a perforé le créneau et a éclaté à
l’intérieur de C12B. Le culot a continué à tourner à environ 1m du sol en
dégageant une épaisse fumée qui envahit le bloc, nous empêchant de respirer
sous le masque. Je me précipite vers la sortie pour ouvrir la porte. Nous
n’avons pas de ventilateur, on ne peut compter sur l’aération par le trou des
guetteurs. La porte résiste pendant 2 à 3 minutes. Je dois quitter mon masque
pour voir ce qui coince. Je vérifie les fiches de blocage, tout est normal.
Aidé de LEONARD, la porte qui est coincée à la suite du bombardement, cède de 2
cm, puis s’ouvre après une poussée plus forte. J’envoie GASSER au P.C. de la
Cie avertir LAILLAT que le bloc est hors d’usage, que la mitrailleuse est
inutilisable, que j’abandonne le bloc car l’ennemi continue à tirer dans le
créneau.
Les bombardiers nous survolent et nous encadrent
de leurs bombes. CHIPOT me supplie de lui faire un garrot que je réalise avec
un fil téléphonique et une tenaille comme levier. Je le tire à l’extérieur et
donne ordre à MARQUE de faire l’impossible pour dégager le F.M. intact.
LEONARD, STEPHEN, HOHWALD, BREZILLON sortent et vont se mettre en batterie à
250. Je passe un F.M. et un fusil à LEONARD. J’aide MARQUE à dégager son F.M.
Je peux récupérer 5 chargeurs pleins. Je reçois à ce moment une gifle terrible
et me retrouve à terre. C’est une bombe d’avion qui vient d’éclater tout près.
Je mets mon F.M. en batterie. MARQUE est avec moi, LAILLAT et TONDU arrivent.
Nous sortons DELEAU, EBEL, PEIFFER. LAILLAT a amené une mitrailleuse de
rechange. Nous essayons de pénétrer dans le bloc pour sortir FLOREMONT, LEBRUN
et GALLO. Après deux essais nous devons renoncer, le bloc est en flammes, les
obus ont mis le feu aux couchettes, les grenades éclatent, le feu envahit les
caisses de cartouches et de fusées. Pendant trois heures nous entendons les
éclatements. Sur mon ordre, CHIPPOT est évacué par les brancardiers le premier,
étant le plus touché. EBEL se traîne dans le boyau sur ses fesses en soutenant
sa jambe, il sera relevé par la 2ème équipe des brancardiers. Nous ne le
reverrons plus celle-ci de la journée, sauf CONRAD, le capucin, qui reviendra
au P.C. de la Cie vers 13 heures en
déclarant que CHIPPOT est mort au Poste de Secours du Bataillon, à 12 h, après
avoir été confessé par lui.
Nous sommes constamment survolés par plus de 20
bombardiers et par le petit avion de reconnaissance que nous avons surnommé “
la Limace”. MARQUE et moi, nous sommes mis en batterie près de la baraque des
brancardiers. Je suis bientôt repéré par l’avion qui a suivi toutes nos
tribulations et quelques minutes après
nous sommes encadrés par un tir de 150. MARQUE commence à avoir une forte
réaction. Il me pose des tas de questions et se terre. Je le laisse et
surveille l’ennemi qui descend des pentes de la forêt de Farschviller.
Le bombardement devient intense, tout tremble
autour de nous, je laisse mon F.M. en place et je navigue dans la tranchée, je
remonte jusqu’à la casemate. PEIFFER, DELEAU sont toujours étendus, je ne peux rien
faire pour eux, je n’ai rien à boire, je n’ai que mes bottes, mon pantalon, ma
chemise, mon portefeuille. Nous pataugeons dans la boue liquide et je suis
trempé jusqu’au-dessus des cuisses. Je reviens près de MARQUE, LAILLAT
m’apporte à ce moment des cartouches en paquets pour servir notre F.M.
disponible. LAILLAT a perdu ses bottes tellement la boue fait ventouse. LAIILAT
repart au P.C. suivit de MARQUE qui a faim et qui veut aller me chercher à
manger. Une fois à l’abri, il ne reviendra pas.
Il est 11h 45, le bombardement est tel que je décide de changer d’emplacement. Je me déplace de 30 mètres. Je suis pris à parti par un F.M. allemand tirant du Kalmerich. Je ne comprends pas, rien ne me semble anormal de ce côté. On me tire, mais je ne peux voir le départ des coups. J’apprendrai plus tard que l’ennemi s’était infiltré et que la 6ème Cie s’était rendue par petits lots jusqu’à 19 heures. Il tire à balles traçantes comme avec une lance d’arrosoir. Il est 13 h. Je quitte cet emplacement avec GASSER qui revient du P.C. où il s’était rendu le matin vers 8 h et m’installe dans la tranchée. Nous sommes immédiatement pris à partie, et cela pour la 4ème fois, par un bombardement de 150. Cette fois chaque obus tombe dans la tranchée ou très près. Vers 13 h 25 une secousse me pousse à changer de place, je passe du coté gauche de la tranchée au coté droit, à 3 mètres de là. Au même instant, un 150 tombe où nous étions, c’est la 3ème fois en 9 heures que j’échappe à la mort. Nous nous couchons, GASSER et moi, dans la tranchée. La “Limace” nous survole sans arrêt et règle le tir en clair, de sorte que nous sommes pris comme dans une ratière. L’ennemi s’infiltre devant nous, je ne peux agir avec efficacité, le Kalmerich est silencieux, mes casemates M113N, R6B et C15N sont muettes, pourtant rien ne laisse supposer qu'elles aient subi le même sort que C12B et je ne vois aucun allemand en avant du champ de rails. Les
avions s’acharnent sur la baraque de la digue, notre pauvre popote s’envole en
petits morceaux, les bombes manquent de justesse R6B, M113N, la digue. Sous le
bombardement, des chapelets de mines sautent et font un bruit terrible. Je vais
au P.C. suivi de GASSER. Je bois un verre de vin avec LAILLAT et je lui demande
pour la troisième fois un tir d’arrêt. Nous
lançons de nombreuses fusées mais personne ne répond. Nous apprendrons plus
tard que l’artillerie s’est repliée sur ordre et que ce qui restait avait été
anéanti par les “Stukas”. Nous commençons à nous inquiéter fortement car aucun
avion de chasse ne vient nettoyer le ciel. L’aviation allemande est maîtresse.
On nous promet une contre-attaque sur nos flancs, l’espoir renaît, mais rien ne
viendra puisque nous sommes laissés en rideau de protection. Je vais au P.C. et
je retrouve l’équipage de R6B au complet, ils ont eu la même aventure que nous
vers 13 h, créneau et F.M. hors d’usage. BAUER s’est replié et a essayé de
mettre en batterie dans la tranchée puis de réoccuper C12B. Ils ont du renoncer
comme moi car c’est une fournaise. Il est venu au P.C. avec son groupe qui,
heureusement, est intact. Il a pu sauver un F.M. Nous nous retrouvons les
larmes aux yeux et la rage au cœur. LAILLAT et moi décidons d’occuper un ancien
emplacement à côté du P.C. Nous sommes sous un bombardement encore plus violent
que ce matin. L’ennemi n’ose pas déboucher de Hoste-Bas et se tient terré dans
les maisons. Nous allons, BAUER, BLOQUEL et moi nous mettre en batterie. Nous
sommes arrosés pendant plus de deux heures par de gros obus. Je suis assis dans la tranchée, un éclat
m’arrive sur le casque et un autre entre les jambes. Quelle suée!...Le goût de
la poudre me devient insoutenable, chaque obus me rappelle la sensation
douloureuse ressentie ce matin dans la casemate. Je suis convaincu que pour
l’instant il n’y a rien à craindre tant
que l’ennemi ne lèvera pas son tir. Mais il est difficile de faire
sortir les gens des trous.
Vers 17 h le bombardement est terrible. LAILLAT
est près de nous avec SKOPECK, un petit gars d’un rare courage. LAILLAT le
renvoie au P.C. Il est tué à 15 mètres de nous par un obus qui lui décalotte le
haut de la tête. LAILLAT le trouve un quart d’heure après en allant au P.C. Un peu
plus tard j’y vais également pour faire déplacer BAUER et j’envoie CHASSANG et
GASSER. Mais ils reviennent, ils sont tombés sur SKOPECK. Nous décidons,
LAILLAT et moi, de laisser ce groupe tranquille jusqu’à la nuit où il nous sera
utile. HIPPY avec sa mitrailleuse
tient, elle sera suffisante en cas de
besoin. M113N et C15N tiennent toujours. Rien d’anormal chez LEONARD.
Le bombardement qui n’a pas cessé depuis le
matin commence à se ralentir. Chaque chef de section prend des dispositions
pour la nuit. Je compte réinstaller mes groupes et leur faire creuser des
emplacements de rechange. Nous n’avons plus de nouvelle du bataillon depuis
18h. L ‘ E.R.40 n’est plus en liaison, à 17 h 30 LAILLAT a envoyé
un C.R. au chef de bataillon l’informant que l’ennemi est dans
Hoste-Haut et qu' il va nous tourner par notre gauche au court de la nuit. Il
rend compte que le nombre de nos armes automatiques a diminué et que l’effectif
de la Cie hors de combat est de 40%, en tenant compte des gens ayant perdu
leurs armes. Il demande des ordres et des instructions. Les éléments du 1er
Bataillon à notre gauche avait été attaqué par les” Stukas” en piqué et tous
les abris sous rondins sont écrasés, ensevelissant leurs occupants.
La pression sur les combattants est terrible,
certains avions sont munis de sirènes qui font un bruit sinistre. Les autres se
délestent de leurs bombes à grande puissance. A 21 h nous recevons du
Bataillon l’ordre de repli !!!
Emporter matériel, munitions, vivres en réserve, se replier au Sud de
Bénestroff par l’itinéraire suivant: route stratégique 248, Saint Jean ou
abords, Hellimer, Francaltroff, Bénestroff. Une section restera pour protéger
le repli de la Cie…
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