Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

Le "colonel Fabien" en Moselle en 1944

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1ère partie, de Philippe WILMOUTH

 

En Moselle, la mémoire collective retient que lors de la libération de 1944 des « hordes » de FTP parisiens, la « Colonne Fabien », sont venues piller et assassiner dans les campagnes. Mythe ou réalité ?

 

Pierre Georges, dit colonel Fabien , (1919-1944), deuxième à partir de la gauche avec le casque Adrian , le 30 septembre 1944 à Mars-la-Tour. (Historique du XXème Corps américain, 1945)

Pierre Georges né en 1919 à Paris, militant communiste, membre des Brigades Internationales en Espagne, entre rapidement en résistance. Il installe à Marseille l’imprimerie clandestine de L’Avant-Garde, puis rejoint Lyon. Après l’invasion de la Russie, il revient à Paris et devient l’adjoint d’Albert Ouzoulias, chef des « Bataillons de jeunesse » liés au parti communiste. Pierre Georges est l’auteur du premier attentat en France d’un officier allemand, un intendant de la Kriegsmarine, au métro Barbès à Paris, le 21 août 1941.

Attentat sévèrement réprimé puisque trois officiers français et 55 otages sont fusillés les jours suivants en représailles. Recherché, Pierre Georges vit dans la clandestinité à Paris, puis participe à la Résistance en Franche-Comté. Il est pris au cours d’une rafle le 30 novembre 1942 à Paris, interné à Fresnes, puis au fort de Romainville d’où il réussit à s’évader le 1er juin 1943. Mis en sécurité en différents lieux, il atterrit finalement dans le Nord, puis en Bretagne.

Après le débarquement en Normandie, il rejoint Paris où il est chargé du secteur sud de la capitale. Devenu « colonel Fabien », il participe vaillamment à l’insurrection de la capitale du 19 au 25 août 1944.

 

Poursuivre la libération de la France

 

Paris libérée, De Gaulle décide le 28 août 1944 la dissolution des états-majors FFI des régions libérées et du Comité d’Action militaire (COMAC), l’organisme chargé des affaires militaires par le Conseil National de la Résistance (CNR). Il entend imposer son autorité par les délégués militaires désignés par le gouvernement provisoire d’Alger. Ainsi sonne le glas des FFI. Mais le COMAC ne l’entend pas ainsi. Le lendemain, il propose aux officiers et aux soldats de s’engager « immédiatement pour la durée de la guerre dans les FFI, l’armée de la victoire française[1]. ». A la caserne de Reuilly à Paris, le colonel André Ouzoulias, colonel André, responsable national FTP, déclare le 30 août : « C’est en se battant que les FFI forgeront l’armée nouvelle[2] ». Or, on se bat toujours dans la région parisienne. Le colonel Rol Tanguy, chef régional des FFI d’Ile-de France, engage les forces FFI dans les combats de la libération des départements de l’Oise, de la Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne. Le général Joinville, chef d’état-major des FFI, communiste, considère que les éléments les plus combatifs de la Résistance parisienne doivent partir à la poursuite des Allemands. De même, le premier point du programme Comité central du Parti communiste qui se tient à Paris le 31 août est la « libération de la France ». Fabien, se prévalant du titre de chef d’état-major FTP pour la Seine, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne, décide de continuer le combat. Il rassemble à Nanteuil-le-Haudouin (Oise) des éléments FTP[3], à savoir :

        - Bataillon « Mont Valérien » du commandant Dalsace, Gaston Wiessler.

        - Bataillon La Marseillaise du commandant Dax.

        - Compagnie Georges Lachambre du lieutenant Rousseau.

         -La Compagnie du lycée Michelet du capitaine Lebon.[4]

« Nos véhicules, raconte Alphonse Boudard, c’était la scaille, bric, broc, récupéré des débris de la Wehrmacht, de nos réquisitions droite et gauche, de vieux autocars à gazogène de la TCRP repeints en kaki, des tacots de la Marne, un convoi de manouches. Les jeunes, c’était notre lot, toutes les dix, quinze bornes, on poussait les camions dans les côtes pour remettre le moteur en marche. Ca fumait, pétaradait, craquait, couinait, grinçait des essieux. Les boudins couverts de rustines, les pneus lisses, la carrosserie rouillée, cabossée, les portières arrachées, la suspension à bout de course. Toujours des histoires de culasse, de joints, de carter, d’embrayages nazebroques… Une sorte de cirque, de magic circus guerrier qui déambulait dans nos vertes campagnes[5] Toutes ces unités ont participé à l’insurrection parisienne. Constituées initialement d’un millier d’hommes recrutés essentiellement dans les usines Renault de Billancourt, elles deviennent le 1er Régiment de Paris, connu dans la presse de l’époque comme « l’armée populaire[6]» devenue à priori après la guerre la « Colonne Fabien »[7]. Beaucoup d’entre-eux, notamment parmi les cadres, sont communistes, mais sans exclusive. Le capitaine Lebon, ancien pilote de chasse de la Grande-Guerre, est un homme de droite.[8]

Just Scharff, responsable FFI de la Moselle, indique cependant que selon l’un des officiers de la Brigade, « la plupart des FTP étaient des condamnés de droit commun libérés des prisons de Paris par des résistants au moment de l’arrivée des Alliés. »[9] Une grande majorité d’engagés est civile la veille pour se retrouver le lendemain soldats sans avoir accompli de service militaire. « Fabien nous voulait en tenue de l’armée française, écrit Alponse Boudard. » Mais les hommes n’ont pas d’uniforme ou alors des tenues disparates mêlant uniforme kaki de l’armée d’armistice avec le bleu marine de la Milice. Certains ont simplement le brassard FFI. Les hommes sont mal chaussés.[10] Des « soldats


[1] Pierre Durand, Qui a tué Fabien ? , Paris, éditions Messidor, 1985. p. 204.

[2] Pierre Durand, déjà cité, p. 204.

[3]André Ouzoulias, Les Bataillons de jeunesse, Paris, éditions sociales, 1969, pp.458-462.

[4] René Caboz, La bataille de Thionville, Sarreguemines, éditions Pierron, 1991, p. 128.

[5] Alphonse Boudard, Le corbillard de Jules, Paris, éditions La Table Ronde, 1979, p.42. Bien que romancé, ce livre est un bon témoignage d’un ancien de la colonne Fabien.

[6] L’Humanité, septembre 1944.

[7] Michel Pigenet, Les « Fabiens », des barricades au front, Paris, éditions L’Harmattan, 1995, pp.15-16.

[8]Michel Pigenet, déjà cité, p.158.

[9] Ascomémo : Just Scharff, La Résistance armée en Moselle de 1940 à 1945, tome 2, p. 68, Thionville, manuscrit, 1954.

[10] Gaston Wiessler dit Dalsace, Le colonel Fabien et ceux de la colonne Fabien, in actes du colloque sur Les Américains en Lorraine, septembre 1944-mai 1945, Thionville 10 novembre 1989 organisé par le Cridoreh, p. 80.de l’an II nouveau  modèle… Pas facile d’uniformiser sa brigade. », conclut Alphonse Boudard.[1] L’armement est dérisoire : des fusils et des grenades allemandes, des fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses lourdes… Personne n’a de casque; seulement des bérets.[2] Pourtant, après deux mois sur le front et un mois en caserne, lorsqu’il les passe en revue à Vesoul, le 10 décembre 1944, De Lattre est ému par « l’ardeur et la franche allure de ces hommes parmi lesquels se trouvent des gosses de moins de 17 ans[3]. »

 

Direction la Moselle

 

Pour le Parti communiste, la colonne Fabien est « une grosse affaire. » Dans son ordre d’opération du 6 septembre, André Ouzoulias, indique à Fabien qu’ « il est indispensable que très rapidement vous entriez en action » afin que « nous puissions dans les journaux (communistes) publier les opérations que vous effectuez. » Ce à quoi répond Fabien : « le combat est le but de notre action. »[4] Fabien propose alors ses services aux Américains. Le contact est établi le 3 septembre. Mais rien de formel. Fabien réussit le 7 à persuader le général Dulow, commandant le Vème corps américain, d’accepter son aide pour nettoyer leur flanc. En contrepartie, les Américains ravitaillent la colonne. Ainsi, le régiment FTP de Paris suit les 4ème et 28ème DI de la 1ère Armée US, nettoie la rive droite de la Meuse entre Mouzon et Stenay, les forêts au nord-est de Montmédy et quelques îlots de résistance sur la rive gauche de la Meuse. Le 8, la 1ère Armée US entre en Belgique et au Luxembourg. Juridiquement, le 1er Régiment de Paris ne peut entrer en territoire étranger. Le ravitaillement par les Américains cesse alors. Le commandant Chaigneau, chef d’état-major de Fabien, communique : « Pas d’argent, pas d’essence, ravitaillement difficile pour 1 200 hommes à nourrir deux fois par jour, éloignés de Paris à 200 kilomètres ; le colonel Fabien, lui, reste calme. » Fabien file alors à Verdun le 9 et s’accorde avec l’état-major de la 3ème Armée américaine.[5]

Pourtant, selon l’historien René Caboz, « par ordre du général Patton, toutes les unités FFI tentant de se diriger vers l’est sont stoppées manu militari sur la ligne Bar-le-Duc – Verdun. Pour le général Patton, laisser pénétrer des unités FFI dans la zone de combat était alors non une aide mais une charge supplémentaire pour sa logistique avec laquelle il se débattait désespérément depuis le 25 août. »[6] Mais la 3ème Armée vient d’essuyer son premier revers. Elle est stoppée lors du passage de la Moselle à Corny subissant de très lourdes pertes et se heurtant à la ceinture fortifiée messine. Manquant d’infanterie, le général Walker est bien heureux de trouver ces unités, permettant aussi à ses troupes de se reposer.

 

Alors que la colonne se renforce du bataillon FTP de la Meuse dit « Freddy » du commandant Gérard et d’une compagnie FTP de Soissons, ordre est donné par Fabien de s’ébranler vers Metz. Malgré les problèmes de ravitaillement d’essence, la colonne Fabien rejoint Mars-la-Tour dans la nuit du 11 au 12 septembre. Elle dépend maintenant du XXème Corps US du général Walker. Le major Eben B. Bartlet est détaché auprès de la colonne pour effectuer la liaison. Renforcé par le 1er Bataillon de marche de Paris sous les ordres de Maroy, qui possède des automitrailleuses et des canons, le 1er Régiment de Paris devient le 25 septembre « Groupement tactique de Lorraine » (GTL) structuré en brigade légère comprenant deux régiments d’infanterie type FFI de 3 bataillons de 462 hommes chacun appuyé par un bataillon divisionnaire de 228 hommes avec deux batteries d’artillerie, une batterie de mortiers, un groupe de reconnaissance et une compagnie de commandement réduite à l’extrême. Les Américains fournissent 1 200 équipements partiels dont des chaussures mais toujours pas de casque. Ils reçoivent un brassard « Allied Expeditionary Forces ». [1] Gilbert Grandval, chef FFI de la Région C, aurait débloqué 1 500 casques[2]. Or, pendant la revue du 30 septembre 1944, seul Fabien porte son casque de la défense passive, tous les autres des bérets ou des calots. En réalité, ce n’est que vers la mi-octobre que les soldats obtiennent des casques de la défense passive de Paris.


25 décembre 1944 - N°1 de l’hebdomadaire de la Première Brigade de Paris. Dans la manchette, on peut lire sa devise « Paris-Lorraine, en avant! »  (coll. Ascomemo-Hagondange)


[1] Michel Pigenet, déjà cité, pp. 39-44.

[2] Gilbert Grandval et Jean Collin, Libération de l’Est de la France, Paris, éditions Hachette, 1974, p.224.


[1] Alphonse Boudard, déjà cité, p.34.

[2] Michel Pigenet, déjà cité, p.131.

[3] Général de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première Armée Française, Paris, librairie Plon, 1949, p. 191.

[4] André Ouzoulias, déjà cité, annexe, p. 485.

[5] Gaston Wiessler, déjà cité, p. 81.

[6] René Caboz, déjà cité, p.129.

 

 

 

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