Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

Le "colonel Fabien" en Moselle en 1944

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La « Colonne Fabien » en Moselle en 1944

3ème partie, de Philippe WILMOUTH

 

Indiscipline, vols, exécutions sommaires :

 

Lorsque le GTL arrive en Lorraine, le général Koenig, responsable national des FFI, envoie un télégramme à Gilbert Grandval, à Nancy : « Colonne Fabien, forte environ 2 000 hommes a quitté région parisienne direction nord-est. Si arrive, vous souhaite bonne chance[1]. » Effectivement, l’épopée qui conduit Fabien en Moselle est jalonnée de nombreux incidents d’indiscipline et de pillage. Pourtant dans son ordre d’opération du 6 septembre, le colonel André indique : « Dans les régions où il n’existe plus aucun combat faire très attention à ne pas faire de réquisition. Tout homme qui pourrait se conduire en pillard devra être traduit devant le conseil de guerre et d’une manière générale renvoyé à l’arrière[2]. » Il en va de la crédibilité de la brigade. Politiquement, l’enjeu est effectivement majeur dans la lutte de pouvoir entre gaullistes et communistes. Grandval note que ses « premiers entretiens avec le colonel Fabien sont difficiles car il ne reconnaît que l’autorité du COMAC et de l’état-major national FFI, et pas celle que il détient du ministère de la guerre. » La brigade doit être irréprochable. « Hélas, note encore Grandval, tout cela ne va pas sans difficultés : exactions de toutes sortes dont se plaint la population; protestation très vive du général Patton contre une formation du commandant Dalsace s’est enivrée; insuffisance manifeste dans le commandement et l’organisation. » [3] Alphonse Boudard explique que lorsqu’il est arrivé dans le secteur de Rezonville « toutes les piaules étaient déjà vides, abandonnées[4]. »

La population autour de Metz a été effectivement évacuée le 4 septembre 1944[5] par les Allemands dans le cadre de la mise en défense de Metz déclarée « zone de guerre » par Hitler. « Plus qu’à piller, saccager, chier partout, poursuit Boudard. Vider les armoires, les commodes, les briser pour faire du feu… La soldatesque en action!… » De plus, «  on arborait des drapeaux rouges au devant des camions, des faucilles et des marteaux ; les chants séditieux baillés à tue-tête… Ca jetait un froid dans les villages lorrains plutôt catholiques. Les habitants, à notre approche, bouclaient soigneux leurs lourdes, les boutiques baissaient leurs rideaux de fer… Dans la région sidérurgique, les gens qui sont restés là, c’est drôle, ils ne nous fêtent pas comme ils devraient. Pourtant c’est le prolétariat le plus dur. Ils pourraient nous accueillir d’autant mieux puisque nous sommes en quelque sorte l’embryon de l’armée rouge française future. Nettement, on sent qu’ils auraient préféré les Ricains, avec leurs Lucky, leurs Camel, chocolate, chewing-gum. Fini le temps des embrassades. On est précédé d’un sacré papelard : communistes, anarchistes, pillards, paillards, violeurs, antéchrists dans cette région catholique... Il faut convenir, on n’est pas fins psychologues. » [6]

Aussi, le 16 septembre, le capitaine Giaccobi, officier de liaison auprès de la 5ème DI US, rend compte : « il y a un manque de discipline… Dans l’état actuel où elles se trouvent, les services que l’on peut attendre d’elles ne sont rien en comparaison du désordre qu’elles pourront éventuellement provoquer… Il y a eu des vols et des menaces à main armée. Il y a eu des mesures prises arbitrairement. Il y a eu des arrestations…[7] » « Notre bande de Trompe—la-Mort, on nous a lorgné traviole[8] »

En fait c’est surtout dans la période d’attente que des méfaits sont enregistrés par la gendarmerie nouvellement installée par l’autorité française. Voilà ce qui est consigné dans les rapports de gendarmerie : le 26 septembre, un camp d’internement provisoire de SA de nationalité française est installé par le commandant Gérard dans l’école communale de Hayange. Les suspects sont battus et volés.

Le 28, un membre de la SA habitant Ebange est arrêté à Thionville, enfermé dans une cellule à l’hôpital de Beauregard, condamné à mort après un interrogatoire extrêmement hâtif et fusillé. Des FFI du 1er Régiment de Paris cantonnés à Guentrange arrêtent quelques personnes de cette localité. Le 5, on retrouve le corps de l’une d’entre elles sur le bord de la route à Thionville. Le 4 octobre, des pillages sont enregistrés à Angevillers. Le 13 octobre, une machine à écrire est volée à la mairie de Volmerange, le 15, tenancier à Hayange qui recevait des militants fascistes italiens est arrêté. Son interrogatoire est musclé. Les 15 et 17 octobre, des arrestations abusives ont lieu à Fontoy. Le 17, cheptel de Mr Frantz à Manom est volé. Le 21, du tabac et des victuailles sont volés à Fontoy. Le 25, arrestation abusive a lieu à Boulange Tous ces méfaits sont attribués à la Colonne Fabien. Un autre crime est perpétré dans leur secteur, sans qu’on puisse affirmer que des soldats de Fabien y soient impliqués. Le 2 octobre, on découvre dans un blockhaus de Havange le corps d’un homme exécuté. La victime, étrangère à la localité, a eu les mains liées derrière le dos. Sur son veston, on avait épinglé un portrait d’Hitler. On ne put établir ni l’identité de la victime, ni celle du meurtrier. A Fontoy, à la demande des habitants, un lieutenant procède à l’arrestation de commerçants italiens fascistes. Son supérieur le sermonne alors car ce n’est pas du ressort de la Brigade. Les prisonniers sont immédiatement relâchés.[9]

Just Scharff dit avoir assisté au pillage « d’un entrepôt au rond point Merlin à Thionville. Des tonnes de denrées alimentaires étaient chargées rapidement sur des camions volés qui prirent la direction de Paris. » Au cours de sa deuxième rencontre avec Fabien, Scharff indique au colonel que « ses hommes très indisciplinés se livraient à proximité du front ennemi à de nombreux vols et pillages de biens dans la région et que la population mosellane en était écœurée et exaspérée. Je l’emmenais alors au commissariat de police de Thionville. Là, Fabien a dû reconnaître que la bonne douzaine d’énergumènes qui l’acclamait bruyamment en le voyant apparaître à la porte de la cellule faisait bien partie de sa horde de malfrats. J’attirais Fabien sur d’autres faits graves : ses hommes étaient accusés par la population de s’immiscer en Moselle libérée aux affaires de Justice. »[10] Et, selon Charles François, commandant FFI du secteur de Pont-à-Mousson, « le ravitaillement de la Brigade était assuré pour un dixième par des rations de l’armée américaine, par des réquisitions sans titres et des pillages. Chaque homme aurait dû avoir 27 francs par jour. En réalité, du 19 août au 1er octobre, les soldats touchèrent 4 000 francs et les officiers et sous-officiers de 20 à 50 000 francs. Des expéditions furent organisées par des officiers de la Brigade chez les habitants présentant quelque surface, notamment les commerçants. Le processus était simple. On arrêtait le mari et on venait exiger de la femme une rançon de 20 à 50 000 francs faute de quoi le mari serait fusillé. Pour le maire de Boulange, on poussa le souci jusqu’à le ramener en voiture devant chez lui encadré d’hommes en armes pour accélérer le paiement de sa femme[11].» Allégations pour discréditer la Résistance communiste de la part de gaullistes?

Toujours est-il qu’au moment de quitter la Moselle, le chef de bataillon commandant le 1er Régiment de Paris tente d’échanger auprès du préfet Rebourset les Marks récupérés dans le département[12]. En France, ils sont sans valeur. Selon Ernest Niesen, à Angevillers, « un détachement du 1er Régiment de Paris prend en charge les SA et collabos locaux arrêtés précédemment par des Résistants d’Angevillers. Un groupe d’une dizaine d’hommes armés jusqu’aux dents se rend au domicile de trois évadés de la Wehrmacht. Les trois Malgré-Nous sont emmenés au cantonnement du colonel Fabien, puis livrés le lendemain à l’armée US[13]. »

                Alors, dès le 7 octobre, le général Dody intervient par écrit auprès du colonel Fabien : « Je suis saisi de plaintes concernant l’attitude de certains de vos éléments. La réputation de la résistance et celle du pays tout entier n’ont rien à gagner au renouvellement d’incidents du genre de ceux dont je suis saisi… Se soulever à Paris et ailleurs contre le boche, bravo! Se soulever au su et au vu de tout le monde contre les autorités françaises, cela ne peut être toléré et je suis certain que nous sommes entièrement d’accord sur ce point[14] A Hayange, le préfet Rebourset ne cesse de recevoir des rapports explosifs du commissaire de Thionville qui écrit : « L’unanimité de la population, les services américains, la municipalité et moi-même formulons la prière de nous débarrasser au plus tôt du 1er Régiment de France composé pour la plus grande partie de ramassis de voyous et de hors-la-loi… On peut considérer que si des mesures adéquates ne sont pas prises immédiatement, la grosse majorité de l’opinion thionvilloise, déjà si mélangée et si expectante, se tournera en faveur des Allemands… » Le préfet réclame au ministère de l’Intérieur l’envoi urgent de forces destinées à calmer l’inquiétude et l’exaspération des populations[15]. Début octobre, une petite compagnie de gardes mobiles arrive au camp d’Angevillers. Des GMR sont installés à Moyeuvre-Grande, Hayange et Thionville.

[1] Gilbert Grandval et Jean Collin, déjà cités, p.224.

[2] Albert Ouzoulias, déjà cité, annexe, p. 485.

[3] Gilbert Grandval et Jean Collin, déjà cités, pp.223-225.

[4] Alphonse Boudard, déjà cité, p.60.

[5] Voir à ce sujet, Philippe Wilmouth, L’évacuation du 4 septembre 1944, éditions Ascomémo, 1997.

[6] Alphonse Boudard, déjà cité, p.60.

[7] Général Pierre Denis, La Libération de la Moselle, éditions Serpenoise, Metz 1997, p. 66.

[8] Alphonse Boudard, déjà cité, p.32.

[9] ADM 151W148, rapports de gendarmerie 1944.

[10] Just Scharff, déjà cité, pp. 68-69.

[11] Bernard et Gérard Le Marec, Les Années Noires, éditions Serpenoise, Metz 1990, p. 277.

[12]  ADM 151W, lettre du 1er Régiment de Paris, 6 novembre 1944.

[13] Ernest Niessen, déjà cité, p.130.

[14] Général Denis, déjà cité, p. 91.

[15] Ibidem.

Alors que le 21 octobre le colonel Grandval envisage l’emploi d’un bataillon de ce régiment pour garder les arrières américains pour l’offensive prévue début novembre, le général Dody lui répond le 25 : « En complet accord avec le préfet de la Moselle, m’oppose absolument à utilisation unité Fabien pour cordon sanitaire[1]. » Le 27, le général Walker transmet un message élogieux à Fabien : « Je vous complimente et vous remercie ainsi que les officiers et les hommes que vous commandez, de l’aide apportée au XXème Corps, au cours de l’entraînement dans la région de Fontoy et pendant les opérations près de Briey, dans le secteur de Garche, à Gravelotte, près de la position Jeanne d’Arc ainsi que dans le secteur d Richemont. L’accomplissement du devoir, le zèle et l’héroïsme dont les membres du Groupement tactique de Loraine ont fait preuve, a été de la plus haute qualité[2]. » En même temps, les liens entre l’armée américaine et la Colonne sont rompus. Car le 28 octobre, le gouvernement provisoire prend un décret de dissolution immédiat des milices patriotiques communistes. Leurs membres peuvent se faire démobiliser ou signer un engagement pour la durée de la guerre et être affectés dans une unité pour renforcer la 1ère Armée française. Le 1er novembre, le 1er Régiment de Paris est transporté à Montmédy où il est encaserné jusqu’au 8 décembre. Puis il est amalgamé à la 1ère Armée Française de De Lattre et combat en Alsace. Le général Palk écrit que les Américains étaient « plutôt contents d’être débarrassés » de la colonne Fabien car elle était « source d’ennuis, et sans grande valeur[3]. »[1] Général Denis, déjà cité, p. 92.

[2] Pierre Durand, déjà cité, p. 237.

[3] René Caboz, déjà cité, p.161.

 

 

Octobre 1944. Prise d’armes à Fontoy au PC du 2ème Régiment de marche; De g à d : colonel Grandval chef FFI région C, Albert Ouzoulias (colonel André) délégué de l’état-major national FFI, colonel Fabien, commandant Raphaël Chagneau chef d’état-major de Fabien et le commandant Lamy de la subdivision militaire de Longwy. (coll. Ouzoulias)

Le 27 décembre, Fabien et son état-major sont tués lors du désamorçage d’une mine à Habsheim (Haut-Rhin). Cette mort tragique contribue à créer le mythe du colonel Fabien.

Immédiatement, la colonne Fabien va devenir un des héros du panthéon du parti communiste et de la Résistance en général. Dès avant la mort tragique de son emblématique chef, L’Humanité n’avait cessé de parler des exploits du Groupement Tactique de Lorraine : « Les vaillants soldats du colonel Fabien, … l’avant-garde du prolétariat à l’assaut de la bête hitlérienne dans sa tanière. »[1] A l’enterrement de Fabien, le général Béthouart, commandant le 1ere Corps d’armée exalte en Fabien «  ce genre de héros français dont les exploits resteront légendaires dans les annales de la France et de Paris en guerre[2]. ». Dès 1945, une brochure pour la jeunesse éditée par le journal communiste France d’Abord est consacrée au colonel Fabien dans la collection « Jeunesse Héroïque ». Selon ses convictions politiques, on insiste soit sur l’épopée glorieuse d’un jeune de 25 ans qui a su emmener des centaines d’hommes poursuivre la lutte, soit sur les exactions bien réelles, mais souvent démesurées par les témoins, leur ressenti et 70 ans après, leur reconstruction mémorielle. En Moselle, deux communes ont attribué à une rue le nom du colonel Fabien : Hagondange en 1954 et Talange. A l’époque de ces dénominations, ces municipalités étaient communistes. Mais, la « Colonne Fabien » fait bien partie du mythe de la terreur féroce attribuée à la Résistance à la Libération. Certes, 1 500 hommes mal fagotés ont dû vivre sur le terrain, n’étant ravitaillés ni par les Américains, ni par le gouvernement provisoire français qui voit d’un mauvais œil ce jeune communiste érigé en héros.

De nombreuses maisons et fermes étaient vides de leurs habitants suite aux déplacements successifs des populations civiles. Ces hommes se sont servis… comme la troupe française en 1939-40. Et, comme le souligne René Caboz, il est un peu facile d’attribuer tous les pillages aux seuls FTP venus de Paris[3]. Les rapports de gendarmerie mettent également en cause des FFI locaux et même la population[4]. Par ailleurs, pour des « gens de l’intérieur » ignorant la situation particulière de la Moselle, adhérer à une formation nazie peut apparaître comme un acte de trahison. L’épuration extrajudiciaire et expéditive demeure l’exception. La Moselle est le département où elle est la moins importante[5].

Pour ces « jeunes de l’intérieur », la Moselle, c’est l’Allemagne, le paysage germanisé et la langue usitée les confortant dans cette idée. Ils se sont conduits en troupe d’occupation. Incompréhensions nées de l’ignorance de la situation particulière de la Moselle. Mais pour la population locale, les exactions commises par la 1ère Brigade de Paris sont d’autant moins acceptables qu’elles sont l’œuvre de Français, de compatriotes qui s’érigent en justiciers alors que la Moselle vient de subir quatre années d’annexion et donc des épreuves autrement plus difficiles qu’en France occupée.

Qui plus est, ces combattants français sont communistes. La Moselle est anti-communiste comme en témoigne la brutale réaction du département contre le Front Populaire en 1936 et la création d’un Front Lorrain anti-communiste[6]. Pourtant, la « Colonne Fabien » est un élément de soutien important mais indiscipliné du dispositif américain pendant la « pause d’octobre » avant de devenir le 151ème Régiment d’Infanterie intégré à la 1ère Armée.

 

[1] L’Humanité, septembre-octobre 1944.

[2] Pierre Durand, déjà cité, p.261.

[3] René Caboz, déjà cité, p. 164.

[4] ADM 151W148.

[5] Voir à ce sujet, Charles Hiegel, La répression de la collaboration et l’épuration en Moselle in Moselle et Mosellans dans la seconde guerre mondiale, éditions Serpenoise 1983.

[6] Voir à ce sujet, Philippe Wilmouth, Front Lorrain contre Front Populaire, Knutange, éditions Fensch Vallée, 2006.

 

 

 

 

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