Les pages d'histoire du Trimestre |
1946, tentative d’assimilation |
Mise un temps en suspens, l’assimilation aux lois de la République laïque est à nouveau souhaitée en 1946 par le gouvernement français dans le cadre du projet de constitution de la Constituante, majoritairement à gauche. Son article 13 prévoit en effet que « la liberté de conscience et des cultes est garantie par la neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignement publics ».
La plupart des conseillers généraux mosellans votent pour l’introduction des lois, « bonnes ou mauvaises - selon l’Eglise - car on ne veut plus être des Français de deuxième zone ». Trois conseillers s’abstiennent de signer après une discussion assez violente avec les responsables locaux de l’Action catholique. Les comités d’Action catholique
ne restent pas inactifs et tâchent d’influencer l’opinion publique, mais ils
n’ont pas le poids de la voix épiscopale. Or, le 13 mars 1946, l’assemblée
des cardinaux de France demande la liberté d’enseignement et condamne le
monopole scolaire. Mais c’est surtout en Alsace-Moselle que cette loi inquiète
le plus. Selon le président du Comité diocésain d’action et de défense
familiale et religieuse à Strasbourg, l’article 13 émeut la population croyante
d’Alsace-Moselle. Cet article et la volonté de ne pas tenir compte du
particularisme local soulèvent un vent de révolte, semblable à ceux de 1924 et de
1937. Les
évêques de Metz et Strasbourg, au moment des discussions sur la législation
religieuse et scolaire à la Constituante, déclarent ainsi : « …Français, nous entendons rester chrétiens,
librement chrétiens, intégralement chrétiens… Françaises, définitivement
françaises, nos provinces comprennent la nécessité d’être intégrées de plus en
plus dans la France totale. Mais intégration n’est pas pure assimilation…
L’intégration ne se décrète pas… Le plus simple et le plus sage serait de nous
laisser ce que nous avons… Il existe assez de points douloureux dans nos
provinces (division des esprits, difficultés économiques, reconstruction des
ruines, retour des prisonniers …) pour qu’on essaie d’en réduire en tout
cas de ne pas augmenter le nombre surtout en matière qui touche de si près les
consciences…». Mgr Heintz publie également une lettre pastorale militante :
« …Le premier coup vient d’être tiré
par la Constituante contre vos libertés religieuses. C’est la menace de 1924 et
de 1937 qui se dessine une nouvelle fois. On se prépare à supprimer vos écoles
confessionnelles et à vous doter de l’école laïque et sans Dieu. Chez nous
aussi on vise en fin de compte à expulser Dieu de l’école et de l’âme des
enfants. Ici nous tenons à protester de toutes nos forces au nom de milliers de
catholiques lorrains contre l’usage du slogan de l’assimilation que les ennemis
de notre foi essayent de faire contre nous à propos de l’école… Ils cherchent à
profiter de l’occasion pour tenter une manœuvre qui atteigne la religion dans
vos âmes et dans celles de vos enfants. Donc votre Evêque vous crie :
Alerte ! Soyez sur vos gardes. Il s’agit de l’âme et du salut de vos enfants.
Organisez-vous pour être prêts si malheureusement l’attaque se produit…».
Le 15 avril 1946, une lettre commune des autorités des différentes confessions
est envoyée au recteur d’académie de Strasbourg demandant le maintien de la
confessionnalité des écoles normales. Finalement, ses critiques s’ajoutant à d’autres
émises par le parti politique catholique, le Mouvement républicain populaire
(MRP), cette constitution est rejetée le 5 mai 1946. La confessionnalité des
écoles est maintenue et existe légalement toujours de nos jours puisqu’une
heure de religion est encore dispensée dans les écoles primaires publiques et
dans les collèges.
L’assimilation passe également par
la refrancisation et la volonté de rupture avec la langue allemande, d’autant
qu’après la guerre, un anti-germanisme exubérant anime la plupart des Français
et de nombreux Mosellans, surtout ceux de l’exil. Pour Henri Hiegel, « la germanisation à outrance provoqua en 1945
la suppression de tout enseignement en allemand dans les écoles primaires de
Moselle… La politique autoritaire de Bürckel a hâté la francisation de la
Lorraine thioise et affaibli son entité ancestrale…». L’heure de religion
est très souvent une heure de lecture de la Bible pour l’apprentissage de la
langue française alors même qu’il manque de catéchismes en français. Conscient que
l’allemand ou le dialecte germanique restent souvent la seule langue parlée et
comprise par une grande partie de ses diocésains, Mgr Heintz délivre une
circulaire aux archiprêtres pour le bon usage de l’allemand : « Le principe est de s’adresser aux
fidèles dans la langue qu’ils comprennent. Aussi dans les paroisses de langue
française où se trouvent des fidèles ayant besoin de l’instruction en allemand,
une prédication devra leur être adressée dans leur langue qu’ils comprennent
soit à l’occasion d’un office spécial organisé pour eux, soit dans une réunion
particulière. La règle à suivre est celle de l’usage d’avant septembre 1939.
Dans les paroisses de langue allemande où il existe un certain nombre de fidèles
connaissant suffisamment la langue religieuse française, il est recommandé
d’introduire peu à peu cette langue dans les prédications, les chants et
prières. Dans les réunions de jeunes, il est également recommandé d’introduire
progressivement la langue française. Pour les confessions, les prêtres doivent
être capables de les entendre en allemand ». Réglementairement, le catéchisme national en français
doit être cependant mis en application. Toutefois, pour Mgr Heintz, « le principe fondamental dans l’enseignement
du catéchisme est de se faire comprendre des enfants… d’où la nécessité… d’un
emploi raisonné de l’allemand et du français et même des deux langues
simultanément qui se conforme le plus exactement possible aux connaissances
réelles de l’enfant… Cette période de transition pourra évidemment durer
quelques temps… C’est pourquoi il ne me paraît ni sage ni possible d’imposer
tout de suite et universellement le catéchisme national en langue française dès
la rentrée scolaire d’octobre 1945 aux enfants des paroisses de langue
allemande ». Des consignes pragmatiques liées à une réalité de
terrain, loin des sphères ministérielles parisiennes. Aujourd’hui, cette assimilation est
de nouveau d’actualité. (Extrait
du livre L’Eglise mosellane écartelée de Philippe Wilmouth)
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