Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

La seule évasion du Fort de Queuleu

                                                                                                                                            retour

 

Dans la cellule n°4, les frères Thill de Frescaty, René, 18 ans et Gaston, 19 ans, pris à la frontière à Amanvillers le 26 novembre 1943 après s’être évadés d’un camp en Silésie rencontrent René Micheletti d’Amanvillers, 23 ans, passeur, arrêté en décembre 1943. René Thill est aide-infirmier et doit emmener les détenus blessés sortis par le Kapo Kraushaar des cellules jusque dans un local où ils sont vus par un médecin. Gaston Thill et René Micheletti sont affectés au Strafkommando, au Kommando disciplinaire. C’est au cours de ce travail que René Micheletti repère la cheminée d’aération de 8,55 mètres de haut, juste au-dessus des latrines. René Micheletti fait également des coupes de bois à l’extérieur, bois destiné au chauffage. Il peut ainsi repérer les lieux. Pierre Ehrmann, 38 ans, de Seingbouse, arrêté le 17 mars 1944 pour avoir organisé une filière de passeurs entre Metz et Nancy, rejoint la cellule 4 après son deuxième interrogatoire.

 

Alors qu’un local est affecté pour servir d’infirmerie, René Thill se voit confier par Kraushaar un escabeau pour nettoyer ses vitres le 17 avril 1944. Il en parle à René Micheletti le soir. C’est alors que ce dernier dévoile son désir d’évasion. « C’était l’occasion ou jamais, poursuit René Micheletti. J’avais scié les barreaux d’une cheminée d’aération que j’ai ensuite replacés comme si de rien n’était. Nous avons modulé une tige de fer en forme de grappin que j’ai pu rentrer dans le fort au milieu du bois. Puis dès que j’ai pu, je l’ai caché dans la fosse à merde. Un jour, le commandant du camp voulut faire enlever les poutres en U de la cheminée. Craignait-il une évasion ? Toujours est-il que des internés sont chargés de ce travail. Mais appelés à une autre tâche, ils ne réussissent qu’à déceler partiellement les poutres. Il fallait se dépêcher. » L’occasion est là. L’escabeau est « oublié » à l’infirmerie.

 

Le mercredi 19 avril 1944, à 4 heures du matin, « j’ai remplacé un détenu pour accomplir le balayage journalier, continue Pierre Ehrmann. Notre gardien est venu ouvrir la porte de la cellule. La première corvée était d’aller chercher de l’eau pour l’arrosage à l’extrémité du couloir dans un lavabo à environ 100 mètres des cellules. » « De 4 à 6 heures, aucune surveillance serrée. Le gardien qui a ouvert la porte est parti se recoucher. Le travail devait être fait sinon c’était la bastonnade et à priori, aucune possibilité de s’évader, poursuit René Micheletti. » Il n’y a que les deux gardes postés, l’un au milieu du couloir, devant l’escalier, l’autre devant la partie occupée par le poste des gardes au repos. « Nous avons alors dévoilé notre projet à l’équipe de corvée composée de 10 à 15 détenus avec consigne de continuer comme si de rien n’était.

 

D’autres voulaient partir avec nous, mais c’était impossible car il fallait des aptitudes athlétiques pour escalader la cheminée, que tous n’avaient pas. Gustave Sibille, 47 ans, nous demande de lui casser le bras pour être emmené à l’hôpital de Bon Secours. Il espérait pouvoir s’évader comme ce fut le cas précédemment pour un autre interné évadé de l’hôpital. Nous ne lui avons rien fait, explique René Thill. »

 

« Arrivés au lavabo, nous avons dressé l’escabeau que René Thill apportait et René Micheletti, à l’aide du grappin réussi à atteindre un fer U à quatre mètres environ du sol. Nous avons opéré de même tous les trois, poursuit Pierre Ehrmann» « Je suis même redescendu pour pousser mon frère, rajoute René Thill. » « Assis sur ce fer U, nous nous sommes hissés jusqu’à un autre fer U, puis un troisième et enfin jusqu’à la lucarne. Sortis de la lucarne, nous nous sommes dirigés à plat ventre sous une pluie battante vers l’extrémité du fort en direction de Grigy. René Micheletti avait préparé une planche que nous avons empruntée pour franchir le précipice qui séparait le mur du stand de tir à celui du fort. Une fois avoir passé la grille en fer, nous nous sommes trouvés dans les champs. »

 

« Il était 6 heures du matin, les cloches de l’église de Queuleu venaient de sonner, raconte René Micheletti. » L’alerte est donnée lorsque l’escabeau est retrouvé sous la cheminée. Les recherches durent plusieurs heures, mais les chiens ne repèrent aucune trace à cause de la pluie. « Lorsque Hempen est revenu, il était hors de lui. C’est moi qui fus rendu responsable de l’évasion, écrit Kraushaar. Aves ses poings, ses pieds et sa matraque, il m’arrangea de nouveau de façon bestiale : je crachais deux nouvelles dents. » [2]

17 ans après, retrouvailles à Metz des quatre évadés : René Thill, René Micheletti, Gaston Thill et Pierre Ehrmann. (photo RL, coll. Micheletti)

 

Les évadés se séparent immédiatement après avoir passé l’enceinte du fort. René Micheletti et René Thill se réfugient chez Greiner, dans la rue de Verdun à Metz. « Vous êtes les seuls Français dans cette rue pleine d’Allemands près du siège de la Gestapo. Personne ne viendra nous chercher là ! » Puis ils rejoignent Scy-Chazelles où ils sont camouflés et soignés par Charles Mangeot et Paul Favalessa pendant trois semaines. « Je ne pesais plus que 52 kilos, raconte Micheletti. Il fallait me retaper. Nous avons d’ailleurs trop mangé et je suis tombé malade. Le docteur de Longeville-lès-Metz est venu me soigner. » La police allemande les recherche et perquisitionne… à Lessy. « Il a fallu faire des photos en ville pour les faux papiers. Je m’appelais désormais Guy Blanchard, né à Verdun, continue René Thill. » Après deux tentatives de franchissement avortées, ils passent finalement la frontière le 10 mai vers Joeuf où ils vont chez l’oncle de Micheletti. Puis direction Paris et ensuite Montauban via Bordeaux où M. Humbert, agent secret attaché à la préfecture repliée de la Moselle, les place d’abord dans des fermes, puis au dépôt du chemin de fer. Après l’attaque du dépôt par le corps franc Pommiès, René Thill et René Micheletti rejoignent le maquis, puis la brigade Alsace-Lorraine et la 1ère Armée française.

 

Eté 1944, dans le secteur de Montauban, le sergent René Micheletti (blouson de cuir à droite) dans la section Metz de la Brigade Alsace-Lorraine. (coll. Micheletti)

 

    

« Je suis resté avec Gaston Thill, poursuit Pierre Ehrmann. A Marly, nous nous sommes rendus chez Gerard qui nous a remis à chacun un sac contenant quelques escargots et un bâton et nous avons continué notre chemin en direction d’Ars/Moselle. Nous sommes arrivés à Gravelotte chez Zimmer. Nous avons couché dans une meule de paille près du cimetière. Vers 23h, Torlotting est venu nous réveiller pour le départ. Nous nous sommes dirigés à travers les champs sur Saint-Marcel, chez mon cousin, Joseph Touba. Nous avons continué à pied à travers la Meuse jusqu’à Nixeville où j’ai fait embaucher Gaston Thil à la ferme Freyssinet.» Pierre Ehrmann est très actif dans un service de renseignement du mouvement de Libé-Nord. Il  s’engage ensuite dans la 2ème DB en août 1944 alors que Gaston Thill rejoint le maquis de la Meuse et ensuite la colonne Fabien.


 

[1] ADM : 285W139 : rapport de Pierre Ehrmann, mars 1945. Témoignage écrit de Pierre Ehrmann, 1954. Témoignage René Micheletti, dans Le Patriote-résistant novembre 1977, dans Les passeurs de Francis Petitdemange et Jean-François Genet, p. 156. Archives privées René Micheletti. Témoignages René Micheletti  9 novembre 2009 et René Thill 25 novembre 2009.

[2] Léon Burger, déjà cité, 1973, p. 46.

 

 

 ESPACE MEMOIRE  

  7 rue du Docteur Viville  

 57300 HAGONDANGE

 03.87.72.08.6 

 

    retour

 

 [Les Echos]][documentation][Expositions][Conférences][Liens]

Copyright(c) 2005 ASCOMEMO. Tous droits réservés.
roland.gautier2@libertysurf.fr