Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

Il y a 80 ans

Le retour difficile des malgré-nous.

                                                                                                                                            retour

                 

 La mort de 40 000 malgré-nous alsaciens-mosellans et le retour de 35 000 blessés graves créent un réel traumatisme, une cicatrice dans de nombreuses familles de l’Est de la France. Ce traumatisme est souvent tu car les malgré-nous ont porté un uniforme honni par les Français après quatre années d’occupation. Pour Eugène Riedweg, « beaucoup d’incorporés vont se sentir mal à l’aise d’avoir dû, malgré eux, porter l’uniforme de l’ennemi et combattre dans la Wehrmacht et ne peuvent oublier les brimades et les souffrances endurées durant leur passage dans l’armée allemande. La plupart d’entre eux refuseront ou auront beaucoup de mal à parler de cette période de leur vie. Il est vrai que l’atmosphère de la Libération où chacun fait étalage de son patriotisme et où les résistants tiennent le haut du pavé ne favorise pas ce genre de souvenirs[1]. » Les sociologues Geneviève Herberich-Marx et Freddy Raphaël pensent à juste titre que dans la première phase de la construction mémorielle, « les incorporés de force sont des « soldats honteux », qui ont fini la guerre sous l’uniforme du vaincu et qui portent les stigmates physiques et psychiques de l’internement dans les camps[2]. » En théorie les malgré-nous sont du côté des vainqueurs car français ; en réalité ils sont bien du côté des vaincus puisqu’ils se sont battus dans les armées du IIIe Reich. « On avait fait la guerre du mauvais côté, reconnaît Jean-Paul Bailliard, président de l’ADEIF, alors on ne s’en vantait pas[3]. »

Lorsque les rapatriés des camps soviétiques sont acheminés à Paris, souvent les insultes ou les crachats pleuvent car les Français ignorent les réalités de l’annexion et confondent ces incorporés de force avec les Français qui se sont engagés dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) ou les Waffen SS de la Brigade Frankreich.

 

Le Républicain Lorrain, 21 octobre 1945 :

 l’arrivée des malgré-Nous à Paris.

(coll. Ascomémo, Hagondange)

 

Pour Florence Fröhlig, « dans l’immédiat après-guerre (…) l’incorporation de force n’était pas conforme à cette mémoire nationale de l’héroïsme ; elle n’a pas trouvé sa place[4]. »

img1.jpg

C’est ce que soulignent les titres évocateurs de livres sur les incorporés de force comme « La grande honte » de Georges-Gilbert Nonnenmacher en 1965 ou « La nuit des parias » d’Henry Allainmat et Betty Truck, en 1975.  Au sortir de la guerre, tout ce qui est allemand représente le mal absolu. En France, à la Libération, la figure du déporté patriote résistant s'impose comme hégémonique, détenteur de la mémoire de l’épouvante nazie. Face à ces fantômes, les autres catégories de victimes s’effacent, trouvant leur parcours moins affligeant. « Dans l’euphorie vengeresse de la Libération, après toutes les horreurs que les Allemands avaient commises, on n’avait guère le temps de s’appesantir sur la réalité du sort de chacun[5] Comment se plaindre alors que tant de leurs copains ne sont pas rentrés ? Comment ces malgré-nous qui ont combattu pour l’essentiel en URSS peuvent-ils évoquer leur campagne contre une des nations victorieuses du nazisme alliée de la France ? Comment peuvent-ils évoquer sans suspicion leurs souffrances dans les camps soviétiques d’où ils reviennent épuisés et malades alors qu’en France le parti communiste assujetti à l’URSS est puissant ? De plus, à la Libération, une vague de germanophobie et d’expiation des crimes anime les cœurs. Dans ces conditions, les malgré-nous sont condamnés au silence, sauf entre eux, dans leurs associations. Alors que n’est toujours pas réglé le délicat problème de la recherche des disparus et du rapatriement d’URSS, ces jeunes, ils ont entre 18 et 31 ans en 1945, enfuient leurs souvenirs au plus profond de leur mémoire et reprennent goût à la vie par la construction de leurs vies professionnelle et familiale. « Le traumatisé ne demande qu’à oublier. C’est le mécanisme psychologique pour lutter contre l’angoisse, pour vivre, sinon on crève, sinon on se suicide, sinon on ne fait pas de gosses. Il faut se laisser rattraper par la vie. », analyse le psychiatre Georges Federmann[6] .

 Philippe Wilmouth



[1]Eugène Riedweg, Les Malgré-Nous, éditions du Rhin, Mulhouse, 1995, p. 282.

[2]Geneviève Herberich-Marx et Freddy Raphaël, Les incorporés de force alsaciens, déni, convocation et provocation de la mémoire dans revue du 20ème siècle, année 1985, volume 6 p. 83.

[3] Interview de Jean-Paul Bailliard dans le reportage de Gabrielle Schaff, « On remuait les lèvres mais on ne disait rien », 2012.

[4] Florence Fröhlig, Du traumatisme à la réconciliation, dans Tambow, La Nuée Bleue, Strasbourg, 2010, p. 142.

[5] Jacques Gandebeuf, Le silence rompu, éditions Serpenoise, Metz, 1996, introduction.

[6] Interview du professeur Georges Federmann.

 

 

 

 

 ESPACE MEMOIRE  

  2 rue des artisans  

 57300 HAGONDANGE

 03.87.72.08.6 

 

    

 retour

 

 

[Les Echos]][documentation][Expositions][Conférences][Liens]

Copyright(c) 2005 ASCOMEMO. Tous droits réservés.
roland.gautier4@free.fr