Les pages d'histoire du Trimestre |
L’association des « Malgré-Nous » 1920-1940 – 2ème
partie
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Leur corps défendant, leur cœur français. Malgré-Nous, ce nom
à lui seul est porteur de sens qui est inscrit dans le préambule de ses
statuts : « association des
mutilés et soldats lorrains qui de 1914-1918 ont servi à leur corps défendant
sous les drapeaux de l’Allemagne, … qui ont porté le feldgrau malgré-eux. »[1] Même le nationaliste
français Maurice Barrès admet que : « Malgré
vous, vous avez été au service de l’Allemagne.[2] »
En 1931 paraît en allemand un roman historique sur la guerre de 1914-18 de
Pierre Jacques, originaire d’Halstroff, Muss –Preusse[3],
Prussien malgré-lui, avec le
sous-titre en français « Malgré-Nous », ce qui diffuse un peu plus
cet idiome (11) basé sur l’idée de contrainte morale qui, selon Jean-Noël
Grandhomme, est bien « réelle pour
certains combattants, mais complètement fantasmée pour d’autres. Elle est
à la base de l’idéologie de ce groupement [4] », idéologie fondée sur le fait que la douleur
de la guerre est encore plus grande
« d’aller combattre sous un drapeau
qui n’était pas le sien [5] » car pour Bellard,
« les camarades lorrains sont de ces
grands blessés dont le sang répandu était du sang aussi français que le sang
qui coule maintenant dans leurs veines. » [6] (12-13) Cette idéologie de
la contrainte et de l’uniforme honni « mue
en vulgate obligatoire pour tous.[7] »
Pour autant,
l’association n’accepte pas tous les Mosellans ayant combattu dans l’armée
allemande. N’y sont admis que ceux qui sont originaires des provinces annexées
nés de père et de mère remplissant eux-mêmes cette condition d’origine. « Pas la moindre faille qui eût permis à un
naturalisé de se glisser dans leurs rangs. Il fallait être Lorrain authentique.
Ce n’est pas du racisme… mais du nationalisme de bon aloi [8] »
écrit Paul Durand ; un nationalisme inscrit dans ses statuts car il
fallait « être partisan de l’ordre
social basé sur le respect de la patrie française et des conditions de sa
conservation[9] .»
Cette fidélité à la France est encore réaffirmée rétrospectivement 25 ans plus
tard dans l’article préliminaire des nouveaux statuts des Malgré-Nous où il est
indiqué que « du point de vue du
droit international[10]
l’Allemagne pouvait peut-être justifier cette mesure mais il subsiste quand
même cette vérité que ces soldats allemands « malgré-eux » furent
bien des Français… Son objet fut dès le début de réunir dans une grande famille
ces Français de toujours et ils ont voulu signifier par là leur profession de
foi d’être des Français, de prendre parti si bien parti pour leur seule
patrie, la France.[11] » Aussi n’est-il pas
étonnant que cette association soit soutenue par les journaux nationalistes Le Messin et surtout Le Lorrain qui font état régulièrement
des activités des Malgré-Nous. D’ailleurs, le président de l’association
devient comptable du Lorrain. Il est
également secrétaire de l’Union Républicaine Démocratique, parti de droite
favorable à l’assimilation. [12] Le nationaliste Maurice
Barrès (1862 Charmes–1923 Neuilly/Seine), chantre de la Revanche dans la lignée
de Déroulède, auteur de Au service de
l’Allemagne, apporte son soutien en mai 1920 à l’association naissante en
envoyant un chèque de 1 000 francs. Par l’intermédiaire de Maurice de Brem
(1863 Metz-1949 Novéant), philosophe, artiste résidant à Novéant, ami d’études
et de militantisme au sein de la Ligue des Patriotes et de la Patrie Française,
Barrès accepte la proposition de Bellard de devenir président d’honneur de
l’association des Malgré-Nous. (14) Plus tard, en 1936, l’association participe
au Front Lorrain, fédération anticommuniste qui reproche notamment
l’internationalisme de la Section Française de l’International Communiste
dirigée par Maurice Thorez qui vient en tournée en Moselle[13].
Aussi ce nationalisme
français affirmé dans une Moselle qui défend ses particularismes[14] peut freiner l’adhésion
de nombre d’anciens mobilisés de l’armée impériale et peut expliquer son
implantation seulement dans la zone francophone. D’autres associations locales
moins militantes quant à l’affirmation de la contrainte, mais plutôt attachées
uniquement à la défense des intérêts matériels de ses membres comme l’Union des
invalides, orphelins et ascendants de guerre et Anciens Combattants d’Alsace et
de Lorraine qui aurait 15 000 membres[15], l’Union des anciens prisonniers
de guerre alsaciens-lorrains, l’Amicale des aveugles de guerre de l’Est,
l’Association des invalides de guerre d’Alsace-Lorraine, la Fédération
générale des pères et mères des morts
pour la France et des Alsaciens-Lorrains morts sous l’uniforme allemand…
semblent attirer plus de personnes. En juin 1920, les associations d’invalides
de guerre appellent ses membres à ne pas assister à la réunion publique des
Malgré-Nous : « cela ne nous
concerne pas ! »[16].
De plus, la plupart des autres associations d’anciens combattants acceptent
« fraternellement » les anciens combattants alsaciens-mosellans même
s’ils ont combattu avec l’uniforme allemand. En 1935 est créée une
« Association des Anciens Combattants Français et Malgré-Nous de Thionville »
fédérant le monde Anciens Combattants quelque que soit l’uniforme porté,
excluant toutefois les Alsaciens et les Lorrains qui étaient officiers de
carrière de l’armée allemande. [17] Aussi Paul Durand
indique que l’association est « numériquement
la plus faible[18],
mais n’en constitue pas moins une force morale incontestable… ». Elle
est présente, notamment avec son drapeau, à toutes les manifestations
patriotiques et à tous les rassemblements d’anciens combattants. « Souvent sollicités pour se dissoudre, poursuit-il,
les
Malgré-Nous ne se résolurent jamais à se suicider… Ils n’avaient pas à demander
pardon d’avoir dû porter un uniforme étranger. Ils avaient l’impérieux devoir
de continuer l’apostolat des populations-frontière…[19] »
Mais en 1940, les
Allemands qui germanisent systématiquement et brutalement la Moselle annexée de
fait interdisent l’association des Malgré-Nous, séquestrent ses biens et
brûlent ses archives. Le drapeau voué à la destruction est caché par Henri Daum
pendant toute la guerre. Paul Durand anticipe l’arrivée des Allemands et fuit
Metz le 14 juin 1940 pour se réfugier à Thônes (Haute-Savoie) avant de
rejoindre Riom (Puy-de-Dôme) où il continue à défendre les Malgré-Nous au sein
de la Légion des Combattants[20]. Les membres de
l’association figurent parmi les indésirables à expulser de Moselle dès l’été
1940. André Bellard est expulsé le 12 novembre 1940 à Pamiers (Ariège). Le
secrétaire de l’association, Emile Groff, expulsé en août 1940 à Romans
(Drôme), est assassiné par les Allemands le 22 août 1944[21].
Une reprise de contact
des Malgré-Nous est organisée le 28 mai 1945 à la salle de l’école des Frères à
Metz par Paul Durand qui fait le lien entre ceux de 14 et les nouveaux
incorporés de force dans l’armée allemande de 1942-45[22]. Il faut attendre le 24 mars
1947 pour que de nouveaux statuts de l’association des Malgré-Nous largement
inspirés de ceux de 1920 soient déposés au tribunal de Metz[23]. Alors que ceux de 14
sont morts depuis près de 10 ans[24], elle est définitivement
dissoute le 31 décembre 2014[25]. La non-commémoration du
100ème anniversaire de la Grande Guerre en Moselle[26] témoigne du malaise
toujours persistant d’assumer une Histoire ne rentrant pas dans les canons
mémoriaux de la nation française[27] à l’exemple des
Malgré-Nous. [1] Ascomémo, statuts de l’association, préambule. [2] Lettre du 30 août 1922 de Maurice Barrès à Henri
Pincemaille publiée dans La Charte,
supplément au n° 4 sept-août 1985. [3] Pierre Jacques, Muss-Preusse
(Malgré-nous), Metz, imp. Libre Lorraine, 1931 édité en français sous le
titre Prussien malgré-lui, Metz, éd.
des Paraiges, 2013. Ce roman était paru en épisodes dans le journal Lothringer Volkszeitung du 21 janvier au
8 février 1922. [4] Jean-Noël et Francis Grandhomme, déjà cités, p.447. [5] Jean-Pierre Jean, déjà cité, p. 267. [6] Le Messin,
30 juin 1920. Discours de Bellard du 27 juin 1920. [7] Jean-Noël et Francis Grandhomme, déjà cités, p.447. [8] P. Durand, déjà cité, p.132 [9] Ascomémo, statuts des Malgré-Nous, article n°5. [10] Le traité de Francfort signé le 10 mai 1871 confère de
droit la nationalité allemande aux Alsaciens-Lorrains des territoires annexés.
Le Reich permet à ceux qui ne se reconnaissent pas allemands d’opter pour la
France avant le 1er octobre 1872. La loi du 23 janvier 1872
introduit le service militaire de trois ans dans le Reichsland Elsass-Lothringen. [11] Ascomémo, statuts des Malgré-Nous du 24 mars 1947. [12] Le Lorrain 14 et 16 juin 1931. [13] Philippe Wilmouth, 1936,
Front Lorrain contre Front Populaire, Knutange, éd. Fensch Vallée, 2006,
p.112. [14] La crise la plus grave est celle de 1924 avec la
volonté du gouvernement Herriot de supprimer le bilinguisme dans les écoles et
d’imposer les lois laïques et la déconfessionnalisation des écoles créant ainsi
un mouvement autonomiste antijacobin, surtout en Alsace et dans quelques
cantons de l’est mosellan. [15] Lothringer Volkszeitung,
23/24 mai 1920. [16] Le Messin,
30 juin 1920. Lettre circulaire aux journaux messins. [17] Ascomémo, statuts de ladite association, article n°8. [18] La
destruction des archives de l’association par les Allemands en 1940 ne nous
permet pas de quantifier le nombre d’adhérents. [19] Paul
Durand, déjà cité, p. 133. [20] Paul Durand démissionne de la Légion des Combattants
en avril 1942 après le retour au gouvernement de Pierre Laval qui a déclaré
souhaiter la victoire de l’Allemagne. [21] Notice biographique d’Emile Groff sur le site Le
Maîtron des fusillés établie par Philippe Wilmouth. [22] Le Lorrain,
29 mai 1945. [23] Ascomémo, statuts de l’association des Malgré-Nous de
1947. [24] Nous n’avons pas identifié le dernier Mosellan ayant
combattu avec l’uniforme allemand en 1914-18. Le dernier Alsacien est Charles
Kuentz né en 1897 et décédé en 2005 à 108 ans. [25] Son dernier président est Louis Harig né en 1927.
L’Ascomémo à Hagondange a récupéré les archives de l’association. [26] Par exemple, on a honoré des Mosellans engagés
volontaires dans l’armée française – ils sont environ 18 000 Alsaciens-Mosellans
- comme le colonel Hennequin à Rosselange en oubliant de dire que la plupart
des combattants mosellans de la Grande Guerre avaient porté l’uniforme
allemand. Le 100ème anniversaire du retour à la France devrait être
l’occasion de manifestations mémorielles, qui, espérons-le, s’appuiera sur des
travaux historiques comme ceux de l’Académie Nationale de Metz, de la SHAL et
de RVM. [27]D’après la loi n° 2012-273 du
28 février, « tous les défunts bénéficiant de
la mention "Mort pour la France" sur leur acte de décès doivent
figurer sur le monument aux morts de leur commune de
naissance ou de dernière domiciliation ou
sur une stèle placée dans l'environnement immédiat de ce monument. »
Or les soldats alsaciens-mosellans tombés avec l’uniforme allemand en 1914-18
n’ont pas le titre de « Mort pour la France » à l’inverse de la
seconde génération. Seront-ils inscrits un jour sur les monuments aux morts sur
lesquels, dans de nombreuses communes mosellanes, ne figurent d’ailleurs aucun
nom ? |
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