Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

Il y a  70 ans    

Pèlerinage des Mosellans à Lourdes

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  En 1941, environ 200 000 Mosellans, évacués non rentrés, réfugiés de l’exode et expulsés sont en zone sud. Fervents catholiques, habitués des pélerinages à Lourdes, 15 000 d’entre-eux se rassemblent dans la capitale mariale du 9 au 12 août. Paul Durand, rédacteur du Trait-d’Union-Le Lorrain, témoigne[1]

 

« Etait-ce une folie ou une audace ? Ce fut le poignant témoignage de la foi solide des Lorrains, une solennelle affirmation de l’inébranlable confiance de nos gens et aussi, disons-le, un fier défi lancé aux hordes qui s’imaginaient que la force brutale justifiait jusqu’au crime.

            Premier expulsé mosellan[2], notre vaillant évêque de Metz avait eu raison de s’accrocher à sa belle devise : « regina spes nostra ». Mais n’était-ce pas témérité quand même que de convier sur les bords du Gave des hommes et des femmes sans foyers stables, presque sans ressources et vivant péniblement au jour le jour ! N’était-ce pas une gageure que d’organiser des trains de pélerinage dans de si misérables conditions ?

            L’incroyable se réalisa. Le projet à peine connu, on se priva encore un peu plus dans les lieux de refuge, économisa sou par sou, emprunta au besoin, pour aller refaire provision de courage auprès de la grotte de Massabielle[3]

 

(coll.Ascomémo)

(coll.Ascomémo)

 

Et, le 9 août 1941, ce sont 15 000 expulsés qui, sur les quais de Lourdes, débarquèrent du train blanc d’Avignon-Lyon, du train violet de Tessonière-Toulouse, du train rose de Brive-Clermont, des deux trains bleus de Périgueux et de Limoges. Eh oui ! Des cortèges d’expulsés encore, mais qui n’avaient plus rien de commun avec ceux de l’été et de l’automne 1940.

            Au cours d’une conversation dans la cité mariale, Mgr Heintz parla de « pieuses réjouissances ». On faisait en effet difficilement la part de la joie humaine et de la piété chrétienne. Dans les rues de Lourdes abandonnées aux seuls Lorrains sur l’Esplanade, partout ce n’était que retrouvailles et embrassades. « Comment ! Vous aussi ? » Venus d’une trentaine de départements, les déracinés se découvraient, s’agglutinaient pour porter ensemble le flambeau de la foi.

            Pendant quatre jours, l’écho de Lourdes ne fut troublé que par les chants et les prières des Lorrains. Nous étions des errants sans doute, mais non pas un troupeau sans bergers. Il y avait aux côtés du premier pasteur et de son vicaire général, Mgr Schmidt, MM Bourrat, préfet de la Moselle (4) en grand uniforme, Robert Serot[5], président du Conseil général, le chanoine Caré, l’intrépide organisateur de ces splendides journées, Gabriel Hocquard[6], maire de Metz, Guy de Wendel, sénateur, Mmes Guy de Wendel et de Curel pour la Ligue féminine d’Action catholique, MM les sous-préfets de Thionville et Château-Salins…

            Les cérémonies à la Basilique, les habituelles processions du Saint Sacrement et aux flambeaux, le non moins traditionnel chemin de Croix, tout le programme fut pieusement suivi[7]. Mais nos gens voulurent mettre les bouchées doubles et assister aux réunions organisées à leur intention. N’était-ce une Moselle reconstituée qui se retrouvait ?...

 

Les filles de Julecourt portant la bannière de Metz (coll.Ascomémo)

 

« Dans six mois, nous serons rentrés ! » avait déclaré au milieu d’applaudissements frénétiques le méridional[8] M. Bourrat. Comment les expulsés en auraient-ils douté, quand pareille

affirmation était faite par un préfet en uniforme « qui tout de même doit être renseigné ! » et que la misère accrochait son espoir à tout et à rien ? Le sage Robert Serot sortit lui-même de sa réserve et déchaîna l’enthousiasme pour avoir mis des points vigoureux sur quelques i bien tracés.

            Nous fûmes quelques-uns ainsi à prendre la parole, tantôt sur la place publique, tantôt dans une salle de réunion. Le très grand discours de Mgr l’archevêque d’Auch qui, avec une rare éloquence et une émotion communicative commenta une parole du Souverain Pontife : « L’heure de Dieu qui vient. » L’orateur fit plus que des allusions et ne se contenta pas de parallèles. Ses courageuses paroles transportèrent littéralement les fiers gueux de la Lorraine.

            Pour retracer ces journées de grande foi et de grandiose folie, il faudrait la science d’un historien et la plume d’un prince des lettres. Ainsi seraient, peut-être, rendue une ambiance, un climat situé au sommet de la Lorraine catholique et française à un des pires moments de son existence pourtant riche de sang et de glorieuses misères. Dans notre « Lorrain » de l’exode, nous avons très amplement rendu compte de cette incroyable croisade. Mais quelle pâle reproduction d’une éblouissante réalité ! Du moins eûmes-nous la satisfaction d’écrire dans un style qui n’avait rien de parabolique, d’imprimer en gros titre le sens de la manifestation et de reproduire la profession de foi clamée par 15 000 âmes :

« -Entend du haut du ciel ce cri de la Lorraine catholique et Français toujours ! »

Assoupie ou bienveillante, la censure ne fit aucune objection à l’ensemble du texte, pas plus qu’elle ne s’offusqua de nombreux clichés plus que significatifs avec leurs claires légendes. »

 

 

 

[1] dans Le Visage des nôtres pp. 91-94.

[2] L’évêque Mgr Heintz est expulsé le 16 août 1940 et replié à Lyon. Plus d’un millier de Mosellans sont déjà

expulsés le 20 juillet 1940.

[3] Le préfet Bourrat obtiendra aussi 200 000 francs sur les fonds secrets du Garde des Sceaux.

[4] Expulsé le 8 août 1940 et installé à Montauban pour les réfugiés d’Alsace-Moselle de la zone libre.

[5] Parti le 14 juin 1940 avant l’arrivée des Allemands et replié sur Lyon.

[6] Parti le 14 juin 1940 et replié sur Annecy

[7] 350 enfants mosellans y sont également confirmés.

[8] Charles Bourrat était originaire de Perpignan. Il est nommé en 1939 préfet de la Moselle.

 

 

 

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