Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

L'évasion mouvementée de Aloyse Klein  

 

 

 

Je me souviens : un beau matin de 1979, Aloyse Klein débarque chez mes parents, avec, dans la main, un «Ausweiss » pour une vache de Hambach à Rahling, village où il est né le 19 décembre 1917 :

« -Où avez-vous reçu ce document ? me demande-t-il.

-Je l’ai trouvé dans le grenier de mes grands-parents. Il fait partie de ma collection. »

En 1979, Aloyse Klein était membre du jury du Concours départemental de la Résistance et de la Déportation. Cette année-là, je le gagnais. J’avais 14 ans. L’ « Ausweiss » faisait partie de mon dossier.

Depuis la création d’ASCOMEMO, nos chemins se sont croisés à différentes occasions, car nous avions, chacun à notre manière, le même souci : la Mémoire de ces années terribles.

Il était membre d’ASCOMEMO. Je devais encore le rencontrer avant qu’il ne s’en aille, ce 21 janvier 2007… Un grand témoin qui disparaît. Un Ami.

Philippe Wilmouth

 

     Aloyse Klein a écrit son témoignage sur son évasion. Nous en publions des extraits :

« Lambersart, près de Lille, le 31 mai 1940, à 5 heures de l’après-midi. C’est fini ! Sous-lieutenant au 124ème RI depuis le 3 septembre 1939, j’étais fait prisonnier et je pris le triste chemin de la captivité. Le 21 juin, c’était le jour de ma fête, j’arrivais avec un convoi à l’Oflag IID, à Schneidemühl en Poméranie, près de l’ancienne frontière polonaise. En août ou en septembre, les Allemands convoquèrent les officiers alsaciens et mosellans et leur proposèrent de remplir une demande de rapatriement avec bien sûr des engagements à se comporter en bons et loyaux citoyens du Grand Reich. Je demandais mon rapatriement mais je rayais tout le reste de l’imprimé ce qui me valut  de nombreuses injures, mais on me laissa tranquille. La tradition veut que les saint-cyriens fêtent l’anniversaire de la bataille d’Austerlitz.

Le 2 décembre, réunion l’après-midi des anciens de toutes les promotions avec des chants traditionnels et autour d’un verre Rhienwein ». En revenant à ma baraque, je croisais une patrouille de deux soldats allemands. Je les arrêtais et leur adressais de violents reproches. J’exigeais qu’ils saluent les officiers français qu’ils rencontraient sur leur chemin. Les Allemands interloqués se demandaient s’ils devaient m’embarquer. Finalement, ils me décidèrent à regagner rapidement ma baraque. L’incident était clos mais la scène avait eu des témoins. Le lendemain matin, un de mes grands anciens, le lieutenant Alain de Boissieu, me dit avoir constaté que je parlais très bien l’allemand et il me demanda si je voulais m’évader avec lui et un de ses camarades, le lieutenant Jacques Branet.

Depuis plusieurs mois, les lieutenants de Boissieu et Branet avaient décidé de s’évader ensemble mais il leur manquait quelqu’un parlant correctement l’allemand. Ils venaient de le trouver. Pour des raisons de sécurité, nous nous rencontrions rarement et à l’extérieur de leur chambre, nous faisions semblant de nous ignorer. Ce sont eux surtout qui avaient préparé cette évasion : acquisition de Reichsmark, de vêtements civils, de renseignements sur les itinéraires possibles. C’est ensemble que nous avions creusé le tunnel que finalement nous n’avons pas emprunté…

  Evasion de Poméranie

 

Le 27 mars 1941, nous quittâmes le camp en passant par la grande porte lors d’une promenade. Les gardiens avaient compté 93 officiers sur les rangs et ceci à deux reprises. En réalité, nous étions 96 étant donné que trois officiers de petite taille se tenaient sous la pélerine de trois camarades très grands, chacun levant un pied alors que les candidats à l’évasion n’avaient aucun rôle à jouer. En cours de promenade, le moment nous paraissant favorable, Branet, de Boissieu et moi laissâmes comme prévu nos pélerines aux camarades qui nous suivaient. Nous fîmes trois pas à droite et voilà trois civils qui se laissaient dépasser par la colonne de prisonniers. Les sentinelles qui fermaient la marche eurent droit à notre salut « Heil Hitler ! ». Elles nous repondirent comme il convient entre bons patriotes.

Nous nous dirigions vers la gare de Roederitz. Je ne pus obtenir de billets, faute de pièces d’identité. Je racontais à l’employé que j’avais oublié mes papiers, que j’allais les chercher à la maison mais que je reviendrais. Et nous voilà repartis à pied vers la gare de Lubow près du camp militaire de Gross Born… J’obtins sans difficultés – du moment que je donnais de beaux billets de banque – un billet pour trois à destination de Koenigsberg. Voyage tranquille jusqu’à Neustettin. Contrôle de police. Sans attendre la demande des Ausweiss, je montrais le billet de chemin de fer et leur expliquais qu’en raison de l’heure tardive, nous ne voulions plus déranger des parents chez qui nous devions passer la nuit. Et on nous laissa tranquilles.

A 6 heures du matin, train omnibus jusqu’à Könitz, en Pologne. Pendant l’attente, je parlais presque sans arrêt, donnant l’impression à ceux qui pouvaient nous entendre que nous étions en grande conversation. Je posais des questions et je répondais. Puis voyage sans histoire jusqu’à Koenigsberg.

Je repris un nouveau billet pour Ebenrode, à 15 km de la frontière russe… Avant notre départ du camp, Branet avait obtenu de l’aspirant Guetefin un plan de cette région frontière. Celui-ci avait échoué dans sa tentative d’évasion au moment de franchir la frontière, mais il nous fit profiter de son expérience. Nous suivions les indications de ce précieux plan que nous n’avions plus sur nous par précaution mais que nous connaissions par cœur. Soudain, nous voici devant deux soldats allemands. Après un échange de « Heil Hitler », je leur demandais la route de Goeritten. Ils me firent constater que nous allions vers la Russie. Je protestais que je ne comptais pas me rendre dans l’enfer soviétique. Ils me comprenaient. Je leur expliquais que d’habitude je prenais un autre itinéraire mais que pour une fois, j’avais emprunté ce raccourci.

-          Et ces deux là ?

-          Ce sont des ouvriers italiens que je viens de prendre à la gare pour les emmener chez mon père.

-          Ont-ils des papiers ?

-          Non, ils m’ont remis les certificats de travail de leur dernier employeur.

. Ils prirent les certificats, les lurent et se les repassèrent. « Gut ». Je leur déclarais que j’allais reprendre mon itinéraire pour ne pas me trouver en zone interdite. « Heil Hitler ». Et nous repartîmes. Allaient-ils nous suivre ? Nous trouvâmes en contrebas une mare plantée de roseaux. Nous disparûmes dans ce couvert providentiel et nous entendîmes les aboiements d’un chien. Mais ce n’était qu’un troupeau d’une dizaine de vaches qui se déplaçait au loin. Nous attendîmes. Nous nous serrions les uns contre les autres pour nous réchauffer. Il devait faire –15° à –20°. La nuit tombait et l’espoir renaissait. Nous repartîmes en direction de la frontière mais nous ne la trouvions pas. A deux ou trois reprises, nous eûmes droit à des fusées éclairantes. Le mieux alors était de rester immobiles pour passer inaperçus d’autant qu’il neigeait. Un peu plus tard, nous nous approchâmes d’un bâtiment et aperçûmes un énorme drapeau rouge. Serions-nous en Russie ? Non ! Sous l’effet du vent, il laissait apparaître une croix gammée. Evitant encore un side-car en nous jetant dans le fossé, nous repartîmes plein est, le vent en face. Un peu plus loin, un double réseau de barbelés éclairé par des projecteurs placés sur des miradors nous barrait la route. Etait-ce la frontière ? Ce n’était plus le moment de réfléchir. Branet et moi escaladâmes à toute vitesse l’obstacle. Nous étions déjà de l’autre côté tandis que de Boissieu restait accroché en haut des barbelés par le fond de son pantalon. Finalement, nous nous éloignâmes le plus possible de ce réseau de barbelés. Nous nous approchions d’une maison. Un homme en chemise de nuit apparut :

-          Hier Deutschland oder Russland ?

-          Deutschland, Russland? Nee, hier Litauen.

Nous n’étions plus en Allemagne. Nous étions des évadés, des hommes libres. Nous tombions dans les bras des uns et des autres. Bientôt, nous fûmes entre les mains de la police et les interrogatoires commencèrent. Le 1er avril 1941, à 4 heures du matin, nous entrions dans la prison de Kaunas. Une autre vie commençait. Après un mois de prison, quatre mois de camp d’internement et quelques voyages, nous quittions l’URSS le 1er septembre 1941 par le port d’Arkangelsk

Engagé dans les FFL

Accueil inoubliable des Britanniques et des Canadiens français sur l’Empress of Canada qui nous emmena à Glasgow via le Spitzberg. Le 10 septembre 1941, nous arrivâmes à Londres et signâmes notre engagement dans les Forces Françaises Libres.

 

Commandant d’une compagnie d’instruction à Camberley pendant quelques mois, je fis un stage  dans une unité de commando à Larcs en Ecosse et participais à un coup de main sur Bayonne le jour de Pâques 1942. Quelques mois encore au 3ème Bureau à Londres afin de traduire le « Règlement d’emploi des chars dans les petites unités » par le général Guderian et ce fut le départ pour l’Afrique en février 1943.

 

Le 4 mai 1943, j’arrivais à la 1er DFL au PC du général Koenig près de Gabès. Opérations en Tunisie où j’ai gardé un camp de prisonniers de guerre allemands pendant quelques jours. Italie en mai et juillet 1944. Puis en France du 16 août 1944 dans la baie de Cavalaire jusqu’au 8 mai 1945. »

En 1990, le général de Boissieu écrivait : « j’exprime ma gratitude à Aloyse Klein sans lequel nous n’aurions pas réussi notre évasion. »

Jean Hadey « Ils ont rejoint de Gaulle » éditions La Nuée Bleue –Strasbourg 1990

A lire également général de Boissieu «  Pour combattre avec de Gaulle » éditions Plon 1981

 

 

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