A Hagondange, depuis 1997, un « espace »
est consacré à l’histoire du département de la Moselle pendant la Seconde
Guerre mondiale. Son existence est justifié par ses concepteurs par le
singularisme de l’histoire particulière de ce territoire de l’entre-deux.
Pourquoi ? Comment est née cette initiative conjointe d’une association et
d’une municipalité ? Que trouve-t-on dans ce Musée ? Quel est son
avenir ? C’est à ces questions que je vais tenter de répondre le plus
objectivement possible, sachant que mon implication dans ce projet ne me
confère pas la distanciation nécessaire.
1- Une Histoire particulière
à expliquer
Depuis les débuts de l’association
qui en est à l’initiative, les créateurs du site de l’Espace-Mémoire ont toujours
motivé leurs actions par le désir de vulgariser pour un large public l’histoire
particulière de la Moselle annexée et des drames inhérents. En quoi cette histoire
est-elle si particulière ?
Après la défaite contre l’Allemagne,
alors que le reste de la France continue à être administré par l’autorité
française, même en zone occupée, conformément à l’armistice du 22 juin 1940,
les vainqueurs annexent de fait au Reich ce qu’ils considèrent comme leurs Verloren, leurs provinces perdues. La
Moselle redevient allemande après l’avoir été de 1871 à 1918.
Très rapidement, des mesures sont
prises concernant la « défrancisation ». L’autorité de l’Etat
français y est gommée. Le 6 juillet 1940, des bataillons de policiers en
uniforme prennent position le long de l’ancienne frontière de 1871. A partir du
2 août 1940, un Chef der Zivilverwaltung,
chef de l’administration civile, en l’occurrence Joseph Bürckel, légifère par
ordonnances et règlements publiés dans les
Verordnungsblatt, lui conférant une relative autonomie après que le Führer
lui ait tracé sa ligne de conduite générale. Le Chef der Zivilverwaltung nomme à la tête de l’arrondissement, un Landrat, un responsable administratif ;
à la tête d’un regroupement de communes pour une zone urbaine, un Stadtkommissar, puis un Bürgermeister ou Oberbürgermeister et, pour une commune rurale, un Bauernführer[1].
Progressivement, le système judiciaire allemand est introduit. Les prisonniers
de guerre mosellans sont libérés au titre de leur « deutschstämmig », leur appartenance à la souche
allemande. L’administration civile se double d’une administration politique. Le
18 octobre 1940, le Reichsgau Westmark (Marches
de l’Ouest) regroupant la Moselle, la Sarre et le Palatinat avec pour capitale
Neustadt-an-der-Weinstrasse (Palatinat) est créé. A chaque échelon apparaît un Leiter, un responsable chargé de
surveiller la population : Kreisleiter
pour l’arrondissement, Ortsgruppenleiter pour
la commune, Zellenleiter pour un
quartier et Blockleiter pour quelques
maisons. Pour les autochtones considérés comme Volksdeutsche, membres de la communauté, les Allemands créent en
août 1940 une organisation spécifique calquée sur le parti nazi : la Deutschen Volksgemeinschaft (DVG).
Cette
annexion de fait s’accompagne d’une germanisation systématique, rapide et
brutale. En effet, le 25 septembre 1940, Bürckel reçoit l’ordre de Hitler de
germaniser en une dizaine d’années la province retrouvée. La langue française y
est proscrite. A l’école élémentaire, à la rentrée d’octobre 1940, les livres en
français ont disparu et sont remplacés par des livres et des revues
pédagogiques[2]
en allemand élaborés spécifiquement pour les jeunes Mosellans. Confronté au
problème de la langue, Bürckel institue le 24 avril 1941 des cours du soir
d’allemand, obligatoires pour les jeunes de 14 à 21 ans qui ne sont allés qu’à
l’école française. Les noms de communes[3],
de rues[4],
d’enseignes de magasins, les prénoms voire les patronymes, la presse limitée et
contrôlée politiquement[5]
sont germanisés. Les monuments à la gloire des héros français sont déboulonnés
ou dénaturés[6].
Le béret basque, symbole français pour les Allemands, est interdit. Les
fonctionnaires, en particulier les enseignants, mais aussi les postiers et les
cheminots, doivent faire des stages en centres de rééducation en Allemagne, les
Umschulung.
Bürckel va s’attacher à épurer la
Moselle de ce qu’il considère comme des indésirables : les juifs, les Français de l’intérieur, les
francophiles, les anciens combattants de l’Espagne rouge, les romanichels, les
personnes de race étrangère, les condamnés de droit commun, les éléments
antisociaux[7]… Puis, sous couvert de
régler définitivement la situation du point de vue linguistique, Bürckel
envisage de coloniser la Moselle par des Sarrois et des Palatins et au
préalable d’expulser en novembre 1940 les populations
des zones francophones et rurales. Environ 57 000 Mosellans sont
concernés, soit 8,35% de la population de 1936, essentiellement des
arrondissements de Metz-campagne et de Château-Salins. Enfin, Bürckel
permet aux Mosellans se reconnaissant Français de déposer une demande
d’émigration. Au printemps 1941, 6 700 Mosellans optent ainsi pour la
France. Au final, l’épuration en Moselle aboutit à 95 000 expulsions, soit
14,2% de la population de 1936. Si l’on ajoute les évacués et réfugiés de
1939-1940 non rentrés, on peut considérer qu’environ 25% de la population
mosellane a vécu la guerre en France. A l’inverse, environ 8 000 Mosellans sont
déplacés en janvier 1943 dans des camps spéciaux « pour la consolidation de la race » dans les Sudètes
(Tchécoslovaquie) et en Silésie (Pologne). Pour réprimer les familles de
réfractaires au Reichsarbeitsdienst,
au service du travail du Reich, une telle opération vers la Sarre avait déjà
touché environ 1 500 Mosellans.
Après la dénaturalisation du pays et
de la population, les Allemands imposent à la Moselle annexée les organisations
du parti nazi. A tous les niveaux de la société, adhérer à une organisation
national-socialiste devient obligatoire : les ouvriers au Deutsche Arbeitsfront (DAF), les
enseignants à la NS Lehrerbund,… Le Sturmabteilung (SA), la Allgemeine SS, la Nazionalsozialistisches Kraftfahrtkorps (NSKK), formation motorisée
du parti ou le Nazionalsozialistisches
Fliegerkorps (NSFK), formation à voile
du parti, créent leurs sections en Moselle. La Hitlerjugend, la jeunesse hitlérienne, pour les jeunes de 10 à 18
ans, est introduite en septembre 1940. Y adhérer devient obligatoire en janvier
1942.
En août 1942, l’introduction du
service militaire et l’octroi de la nationalité allemande finalisent aux yeux
des idéologues nazis l’intégration de la Moselle à l’Allemagne nazie. Bürckel
déclare le 29 août 1942 à l’Hôtel des Mines à Metz : «… Le moment est venu pour la jeunesse lorraine de se lever aux côtés
du soldat allemand, son frère…[8] » Trente
mille Mosellans des classes 1914 à 1928 sont mobilisés dans la Wehrmacht et la
Waffen SS. Près de 7 000 d’entre-eux tombent sous l’uniforme feldgrau essentiellement sur le front de
l’Est. La répression y est féroce : 7 700 Mosellans sont arrêtés, puis
internés ou déportés.
Cette Histoire est donc bien spécifique
à un territoire de l’entre-deux et originale par rapport à l’Histoire nationale.
La Moselle la partage dans ses grandes lignes avec sa voisine, l’Alsace, même
si la politique du Gauleiter Wagner
est quelque peu différente[9].
Cette Histoire non partagée avec le reste du territoire français induit une
mémoire spécifique, qui, longtemps, est restée muette et sans lieu pour y être
évoquée.
2- Une mémoire sans sanctuaire
Encore longtemps après la
Libération, la Moselle a peu cherché à évoquer son Histoire d’annexée, restant
le plus souvent dans l’ombre de l’Alsace qui, elle, s’est soudée dans la
défense de ses incorporés de force, surtout à partir du procès de Bordeaux en 1953. Jusque dans les années 1980, on trouve peu d’écrits sur
la Moselle
annexée : quelques témoignages, et surtout le livre Vautours sur la
Lorraine[10]
et les brochures de l’abbé Goldschmitt[11].
Depuis les années 80, des collecteurs de témoins et des témoins ont multiplié
les ouvrages consacrés à la Moselle en 1939-1945. Peu d’historiens[12]!
A la faculté de Metz, les travaux consacrés à l’annexion sont rares[13].
Un silence encouragé par la diversité des situations et à une certaine méfiance,
à la peur de l’incompréhension de l’autre qui ne partage pas les mêmes souvenirs.
En effet, en Moselle, il n’y a pas une
unité mémorielle mais bien une hétérogénéité, une balkanisation des mémoires qui
a longtemps divisé. La difficulté de la construction mémorielle qui normalement
« cherche à préserver une identité
et à légitimer une action passée[14] » est
consécutive notamment à la politique d’épuration de Bürckel. Il n’y a pas une
mémoire mosellane, une « unité
significative d’ordre matériel ou idéel dont la volonté des hommes ou le
travail du temps a fait un élément symbolique d’une quelconque communauté[15]. » En 1945,
chacun ramène avec lui ses souvenirs difficiles à partager. «…
Qu’ils soient des expulsés ou des transplantés, qu’ils soient des patriotes dénoncés
ou des travailleurs réquisitionnés, la réadaptation était moralement facile.
Ils rejoignaient la Moselle en héros[16].» Ces
expulsés et réfugiés, dans leur ensemble, reviennent souvent avec le sceau
autoproclamé de « bon Français », reprochant à ceux qui sont restés
notamment d’avoir porté les bottes. Dans son bulletin de décembre 1946,
l’association des malgré-nous indique que « chaque revenant qui promène son crâne tondu à travers le village
paternel rouvre des blessures qui ne peuvent cicatriser[17]. »
La mémoire est plurielle selon que le Mosellan était ou non en terre annexée
pendant la guerre. « Restés,
revenus ; hier des frères ; aujourd’hui souvent dressés l’un contre
l’autre » écrit l’éditorialiste René Ferry dans L’Est Républicain[18].
De réelles dissensions se sont établies entre les « restés » et les « partis ».
Jacques Gandebeuf rapporte que selon les témoignages qu’il a recueillis, « les retrouvailles furent difficiles
quand chacun regagna sa maison détruite. Le souvenir du fameux choix flottait dans
les mémoires et freinait les effusions[19]. » Plus
du quart des Mosellans ont vécu leur guerre hors du département et beaucoup se
sont autoproclamés meilleurs patriotes que les restés. Par exemple les
malgré-nous mosellans, minoritaires, se heurtent souvent à l’incompréhension de
leurs propres compatriotes qui n’ont pas été confrontés à ce terrible
dilemme : porter ou non l’uniforme
feldgrau. « Dans l’euphorie
vengeresse de la Libération… on voulait bien comprendre les malgré-nous, mais à
condition qu’ils gardent un profil bas », estime Jacques Gandebeuf [20]. Un long silence s’est donc imposé[21].
Jacques Gandebeuf parle de « mémoire
refoulée, un passé à compartiments, une sorte de blues des frontières, pour que
chacun puisse garder sa vérité[22] ». Les titres de ses livres, « Le silence rompu » et « La parole retrouvée » sont
évocateurs[23].
Il n’existe pas en Moselle une mémoire, mais des mémoires souvent cloisonnées,
comme étanches les unes des autres, voire antagonistes. Difficile dans ces
conditions d’élaborer une unité mémorielle entre Mosellans. Difficile alors
d’avoir une volonté pour fixer une mémoire a priori non consensuelle. Cinquante
ans après les faits, cette tension a fait capoter un projet de musée de la
Moselle annexée au fort de Metz-Queuleu initié, en juin 1994, par l’Amicale 57
des Déportés et Internés Résistants et Politiques, car les anciens internés ne
voulaient pas évoquer l’incorporation de force au premier étage de la casemate
A.
Finalement, dans la France résistancialiste et manichéenne
de l’après-guerre, comme partout en France, seule la mémoire sélective
consacrée à la Résistance
et à la Déportation
trouve matière à entretenir une mémoire lissée. En 1978, la casemate A du fort
de Metz-Queuleu[24],
symbole de la répression nazie en Moselle, est rendue accessible au public,
mais depuis, le musée prévu à l’étage ne voit pas le jour. Par ailleurs, à
l’initiative de M. Michel, résistant, et avec l’aide de la municipalité de Thionville,
un musée régional de la
Résistance et de la Déportation s’installe au Centre Jacques Brel en
1985. Ce musée reste généraliste, empruntant ses exemples à l’Histoire
nationale[25].
La situation particulière de la Moselle annexée n’y est quasiment pas évoquée. Le
17 novembre 1987, un musée de l’Histoire et de Tambow est inauguré à l’école du
Parc à Amnéville. C’est en réalité plutôt une salle du souvenir qu’un musée. Enfin,
en juin 1992, un espace souvenir des Alsaciens-Lorrains victimes des décrets
d’août 1942 est inauguré au musée militaire place d’Armes à Phalsbourg.
C’est dans ce contexte d’Histoire taboue et tue, de quasi-vide
mémoriel que naît l’Ascomémo, l’Association pour la Conservation de la Mémoire
de la Moselle en 1940-1945.
3-
L’Association pour la Conservation de la Mémoire en 1939-1945
En
1988, alors que je suis jeune instituteur, je m’adresse aux associations
patriotiques pour rassembler de la documentation locale sur la Seconde Guerre
mondiale à des fins pédagogiques. Je réalise alors que l’Histoire de la Moselle en 1939-1945 est taboue
et qu’elle n’est pas la préoccupation des dites associations. Sur les conseils
de Firmin Nicolas, président de l’Amicale des Anciens du fort de Queuleu, je
décide de créer avec quelques amis une association pour « maintenir présent à l’esprit des concitoyens
et surtout des jeunes générations le souvenir des sacrifices de la population
mosellane de juin 1940 à mars 1945 » (article 3 des statuts). Le 18
février 1989, les statuts de l’Association pour la Conservation de la Mémoire de la Moselle en 1940-45 »
(Ascomémo 40-45) sont déposés au registre des associations du tribunal
d’instance de Metz et enregistrés le 21 mars 1989. L’assemblée générale extraordinaire
du 29 mars 1998 étend la période à étudier de septembre 1939 à mai 1945 en
indiquant que l’association « pourra
ponctuellement proposer ses services et ses moyens pour l’évocation des périodes historiques antérieures notamment
lors d’anniversaires et de commémorations». J’en suis donc le président-fondateur
reconduit dans ses fonctions depuis. Aucun des membres créateurs de l’association
n’a vécu physiquement la Seconde Guerre mondiale, la plupart étant nés 20 ans
après la guerre. Cela constitue une des originalités de l’Ascomémo.
Les premiers sièges de l’association
sont domiciliés chez le président, d’abord à Metz, puis à Amnéville. En même
temps, un local lui est prêté dans une cave d’un commerce à Hagondange-cité,
puis dans les sous-sols d’une salle communale à Mondelange pour entreposer les
objets et documents rassemblés. L’association cherche initialement à diffuser
l’information sur cette période en montant des expositions avec ses moyens de
bénévoles et d’association naissante, principalement dans l’Ouest mosellan, la
première se tenant à Thionville, en novembre 1989, au musée régional de la
Résistance et de la Déportation. Depuis, l’association a présenté plus de soixante
expositions souvent monographiques, généralement en partenariat avec les
sociétés d’histoire locale. En 1998, le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants,
Jean-Pierre Masseret, inaugure l’exposition de Hagondange consacré au
« retour de la Moselle à la France en 1918-1919 ». L’association participe
également à des expositions d’importance comme celle sur l’« Archéologie en Alsace-Moselle 1940-44 » visible aux musées de Strasbourg et Metz en
2000-2001. Elle devient partenaire des Archives départementales pour les
projets « De gré ou de force »
consacré aux expulsions et « Malgré-eux
mosellans » en 2010 et 2012. Sa
dernière exposition sur « La
communauté juive mosellane dans la tourmente 1939-1945 » présentée
initialement à Hagondange a été ensuite empruntée par les Archives
départementales pour l’été 2014. Cet emprunt témoigne de l’évolution de la
qualité du travail de l’association avec désormais un statut de
quasi-professionnel.
Depuis octobre 1990, l’association
diffuse un journal trimestriel[26]
de six pages, « Les Echos de notre
Mémoire », qui, en plus d’informer ses membres sur ses activités,
publie une feuille centrale consacrée à un sujet d’histoire sur la Moselle de
1918 à 1945. Depuis 1992, son président publie régulièrement des articles dans
des revues d’histoire locale ainsi que des ouvrages, dix-sept à ce jour,
certains dits « populaires » dans la collection « Mémoires en images » qui permettent de toucher des
publics non initiés. D’autres sont devenus des ouvrages de référence[27].
La vente de ces publications et les droits d’auteur laissés intégralement à
l’association permettent de réunir les financements nécessaires à l’achat de
documents, livres, photos et objets. L’ascomémo consacre 82% de son budget à
ces achats, l’essentiel des acquisitions s’effectuant ainsi. Son budget est
complété par des subventions municipales, la cotisation de ses membres, la
vente de documents hors sujets ou en double. Au départ, l’association ne
disposait que d’un classeur de documents, de trois affiches et de quelques
pièces militaria issus des
collections personnelles du président. Désormais, à force de chiner sur les
brocantes, les bourses aux vieux papiers ou militaria,
de visiter les anciens, de tisser un réseau de « collecteurs », de
chercher sur l’Internet, de susciter des dons par sa nouvelle visibilité, l’association
dispose d’un patrimoine documentaire exceptionnel composé de centaines d’objets
(mannequins de régiments français, tenues d’organisations nazies, tenues de
déportés, objets germanisés et de la vie quotidienne, matériel scolaire, souvenirs
d’expulsés, de PRO, de malgré-nous, de résistants, de déportés, …), de dizaines
d’affiches, de milliers de journaux, de documents et de photos, d’une
bibliothèque de plus de 3 000 ouvrages spécialisés et de recueils de
témoignages.
L’intérêt des collections réside en
son unité géographique, la Moselle avec quelques élargissements vers l’Alsace,
la Sarre et le Luxembourg, et chronologique, soit la période 1939-1945 avec une
ouverture depuis 1871. Cette activité de fourmi a permis de sauver un
patrimoine dispersé, inaccessible car familial, souvent destiné au pilon. Ainsi
dans un même lieu est centralisée l’information, facilitant le travail de
chercheurs. L’association est de plus en plus sollicitée par des
documentaristes[28].
En 2008, la Bibliothèque nationale à Paris sollicite l’Ascomémo pour
répertorier ses journaux pour son catalogue sur la presse mosellane d’avant
1945, y trouvant des titres non conservés par ailleurs.
Ces différentes activités
contribuent à asseoir une certaine notoriété à l’association. En 1998,
l’Académie nationale de Metz lui attribue un prix d’Histoire. Depuis mars 2004,
l’Ascomémo figure dans l’Annuaire des
associations nationales de la citoyenneté combattante édité par l’ONAC à
Paris. Elle est également membre du Comité d’Histoire Régional initié par le
Conseil régional de la Lorraine. Depuis 2001, elle est impliquée dans les
stages de
formation civique, sanction éducative
gérée par la Direction départementale de la protection judiciaire de la
jeunesse, montrant ainsi que l’évocation des années noires participe également
à l’éducation à la citoyenneté.
En 2000, l’association crée un site
internet[29]
qui permet une plus grande visibilité nationale et même internationale. Aussi
le nombre de ses membres n’a cessé d’augmenter, passant d’une dizaine à sa
création pour se stabiliser depuis 2007 à 270[30]
parmi lesquels des associations culturelles ou patriotiques[31]
et des municipalités[32].
Une douzaine de membres actifs permettent le bon fonctionnement de
l’association.
Le président de l’association a souvent
adopté une attitude critique médiatisée envers les décideurs. Impliquée dans le
projet de sauvetage du fort de Metz-Queuleu, l’association n’a jamais cessé de
dénoncer publiquement l’abandon de la casemate A par les collectivités
territoriales. Participant à la commission scientifique pour la création du
Mémorial d’Alsace-Moselle, elle s’est battue, en vain, pour que l’histoire de
la Moselle reste dans son département d’origine et non dans celui du voisin
même s’ils partagent une histoire similaire. Elle a encore manifesté ses doutes
sur l’intérêt d’instituer une Journée de la Mémoire patriotique ou de
matérialiser un « Mur des noms », projet, qui, finalement a été abandonné.
4-L’Espace-Mémoire à Hagondange
En septembre 1997, la nouvelle
municipalité de Hagondange dirigée par Jean-Claude Mahler crée l’Espace-Mémoire
dans les sous-sols de l’école de la Ballastière. Il y réunit trois associations d’Histoire
locale. L’Ascomémo dispose gratuitement d’une salle saine qui permet d’archiver
correctement sa documentation et de la mettre à disposition de tous. Elle a
désormais une visibilité et naturellement l’association installe son siège à
Hagondange. Initialement, l’idée du maire est de permettre un stockage des
collection, sans idée d’exposition. A cette époque, la création d’un mémorial
de l’annexion est en gestation. L’association est d’ailleurs contactée par les
concepteurs, qui auraient un temps voulu récupérer les collections de
l’association. L’Ascomémo refuse d’expatrier son fonds hors du département. Le
mémorial de l’Alsace-Moselle s’implante finalement en 2005 à Schirmeck.
Face à l’évolution croissante des
collections de l’Ascomémo et vu la qualité du travail fourni par l’association,
la ville accepte de franchir un cap sans pour autant créer un musée,
nécessitant d’autres obligations en terme de normes, d’équipements et de moyens
humains. Elle permet toutefois à l’association de mettre en valeur ses
collections et de créer une exposition permanente consacrée à la Moselle en
1939-1945. Pour ce faire, la ville agrandit l’Espace et le met aux normes pour
permettre l’accueil de tous les publics. Ainsi depuis septembre 2006, l’Ascomémo
dispose de plus de 200 m², agencés en deux salles et un grand couloir
d’exposition, en une petite salle de projection et en une salle d’archives lui
permettant d’accueillir les chercheurs[33],
les scolaires[34]
et les groupes constitués[35].
En 2011, une salle d’exposition temporaire commune aux trois associations lui
est adjointe.
C’est bien la rencontre d’un élu
intéressé par la démarche et d’une association, l’Ascomémo, qui permet de créer
ce lieu car rien ne prédestine cette ville de moins de 10 000 habitants à
conserver cette mémoire de la Moselle annexée. Hagondange n’a pas de lieu
témoin comme Metz, ou ne porte pas une histoire comme Charly-Oradour[36]
ou Longeville-lès-Saint-Avold[37].
L’exposition évolue depuis 2007 au
gré des améliorations du site, de l’enrichissement des collections et de
l’expérience acquise. Elle ne jouit pas de la validation scientifique d’un
expert universitaire ou d’un muséographe. Elle est le fruit d’une réflexion
personnelle, celle du président d’Ascomémo, plus que collective. Elle est
animée par une équipe de bénévoles, passionnés d’Histoire, disponibles pour
proposer des visites commentées d’au moins 1 h 30. L’Espace assez confiné ne
permet pas la visite de groupes de plus de 25 personnes dans une même salle et
lorsque ce nombre est dépassé, un dédoublement du groupe est proposé.
L’exposition est construite
chronologiquement, mêlant des espaces thématiques où des objets sont mis en
situation à des vitrines, des affiches d’époque et des panneaux didactiques. La
vidéo, généralement les actualités de la drôle de guerre en Moselle et les
documentaires « Eloge d’une
Résistance oubliée » ou « De
gré ou de force » auxquels l’association a participé, est très peu
utilisée, seulement lors des journées « portes ouvertes ». L’exposition
s’est adaptée au mieux aux locaux qu’on lui a mis à disposition. Ils ne
permettent pas de cloisonner des espaces. Ainsi, on trouve dans une même salle
un espace français juste en amont de l’espace « germanisation », ou
des tenues de formations nazies côtoyant celles de déportés. Pour autant, la logique
chronologique s’enchaîne de façon cohérente.
Partant d’une évocation de la
période 1871-1919, elle se poursuit par celle de la ligne Maginot, de l’évacuation
de la zone rouge le 1er septembre 1939, de la mobilisation, de la
drôle de guerre et des combats de la Trouée de la Sarre et du canal de la Marne
au Rhin les 14 et 18 juin 1940. Cependant, la période d’annexion constitue
l’essentiel du sujet. Ainsi, après avoir passé une guérite douanière
reconstituée, une ambiance germanisée avec des panneaux routiers, des plaques
de rue, des affiches en allemand est suggérée. Un « coin classe »
avec du matériel pédagogique spécifiquement mosellan, un autre « coin magasin »
avec des produits locaux comme un sachet papier d’un magasin marqué l’Adolf Hitler Strasse à Saargemünd (Sarreguemines) ou des
paquets de cigarettes Lasso de la manufacture de tabac de Metz renforcent
l’authenticité de la mise en scène. Puis les expulsions sont traitées avec
l’exemple symbolique du village de Charly.
Un panneau avec les photos des
victimes mosellanes interpelle et émeut. Suit la nazification avec sa doctrine
antisémite et anti-slave et son florilège d’organisations visant à encadrer et
endoctriner la population. Là encore des mannequins et des affiches forment
l’essentiel de l’exposition. Puis vient le tournant d’août 1942 avec les
décrets sur l’octroi de la nationalité allemande aux Mosellans et
l’incorporation de force dans la Wehrmacht. La pelle du RAD, la tenue de camouflage neige pour le front russe ou les bottes
en paille pour la garde dans le froid soviétique sont autant d’objets qui
rappellent les réalités du moment. L’internement à Tambow est abondamment
illustré grâce aux dons d’objets usuels ramenés par les malgré-nous du camp 188
rassemblés précédemment par la Fédération des Anciens de Tambow à Mulhouse. Des
dessins de l’artiste mosellan, Albert Thiam, complètent cette évocation. La
Résistance avec une valise-radio et une imprimerie clandestine, les
transplantations dans les Sudètes ou en Silésie et la déportation avec des tenues
rayées sont aussi présentées dans cette deuxième salle.
Enfin, les combats de
la Libération sont représentés avec du matériel américain mis en scène. L’exposition
se termine par les retours des Mosellans expatriés et la refrancisation.
L’exposition reste classique,
s’appuyant essentiellement sur la présentation d’objets ou de documents
originaux à la différence de ce que l’on peut voir à Schirmeck. Ils ne sont pas
toujours mis en sécurité, notamment les mannequins et le petit matériel
environnant. L’association n’a pas les moyens de financer des vitrines
appropriées. Elles sont issues de liquidation de magasins sont souvent
inadaptées, trop petites, mal éclairées. De plus la superficie du lieu ne
permet pas de les démultiplier et, en conséquence, elles sont souvent chargées,
tellement les collections sont importantes. Par rapport à la muséographie
moderne qui donne la part belle à la vidéo ou à l’interactivité, cette
présentation peut paraître obsolète, voire poussiéreuse. Elle a cependant le
mérite de s’appuyer sur des collections importantes et originales et ainsi de
permettre de sauver des objets, souvent non collectionnés par ailleurs, qui
donnent une bonne idée de la réalité de la vie quotidienne des années de guerre
sur un territoire de l’entre-deux annexé par l’Allemagne nazie.
En complément de cette exposition
permanente, un espace « bibliothèque – centre de documentations »
permet aux chercheurs d’avoir accès aux livres, journaux, documents et photos
réunis par l’association. Le fonds documentaire est exceptionnel, notamment
grâce à l’Internet qui a permis de glaner des éléments dans toute la France et
à l’étranger, principalement en Allemagne et aux Etats-Unis. Les Archives
départementales de la Moselle ont bien compris qu’il constitue une source
importante et disponible. L’association a été un recours précieux pour leurs
expositions annuelles sur des problématiques mosellanes pendant la guerre. Les
livres peuvent être empruntés, le reste des collections ne sort pas de l’Espace
mais peut être copié. Il faut cependant s’acquitter du règlement d’une
cotisation annuelle. Les documents issus d’archives privées ou d’associations
patriotiques[38]
sont classés par thèmes ou par communes. L’outil informatique répertoriant les
livres ou les documents conservés est en cours d’élaboration et devrait
permettre d’ici peu une consultation encore plus performante.
L’Espace-Mémoire figure dans un
guide touristique financé par le Conseil régional, dans un autre publié
récemment par le Conseil général de la Moselle sur les sites de tourisme de
Mémoire, dans le supplément touristique du journal Républicain Lorrain, sur le site de l’Education nationale… Il jouit
d’un bon suivi de la presse locale, ainsi que des radios et des chaînes de
télévision locales ou régionales. Le bouche à oreille demeure le vecteur
promotionnel le plus efficace. Mais, beaucoup lui reprochent encore son manque
de visibilité, notamment dans Hagondange même puisqu’aucun panneau signalétique
ne l’indique. Cela n’empêche pas certains de venir de loin[39]
pour visiter l’Espace-Mémoire qui a également bénéficié de visites
prestigieuses[40].
L’Espace-Mémoire est ouvert au
public tous les mercredis matin sans rendez-vous et bientôt ce même jour de 17
à 19 h. Cette ouverture restrictive qui rend parfois difficile l’accès à son
fonds documentaire est une limite liée à l’activité bénévole. Il est cependant ouvert
à la demande, selon les disponibilités des membres, pour les groupes, et
notamment pour les scolaires ou les chercheurs. La visite est gratuite. Trois
journées portes-ouvertes[41]
complètent ce dispositif. L’Espace-Mémoire est devenu en un quart de siècle
quasi indispensable dès qu’on veut évoquer la Moselle annexée en 1940-1945.
Avec le renouvellement des générations, la période est propice au sauvetage
d’archives familiales et l’association devrait encore acquérir de nombreux
documents.
Le problème de la pérennité de cet
Espace se pose. Il est dépendant du bon vouloir d’une municipalité qui, pour
l’instant, demeure son meilleur soutien. Par ailleurs, les bénévoles sont
vieillissants, certains membres actifs étant déjà décédés. Quasiment aucun
jeune ne s’investit dans ce projet. Heureusement, un renouvellement s’opère
avec de « jeunes » retraités. L’Espace vivra tant que l’Ascomémo
existera. Si l’Ascomémo venait à disparaître, que deviendraient les
collections ? L’expérience d’autres musées associatifs ou municipaux qui
ont disparu[42]
ou ont été pillés[43]
nous fait craindre pour l’avenir, d’autant plus que les lieux de mémoire
consacrés à la Moselle en 1940-1944 sont tous en sursis. Le fort de Metz-Queuleu
est fermé. Le musée de Tambow à Amnéville vivote, son fondateur nonagénaire
n’ayant pas trouvé un successeur capable de l’animer. Le musée de la Résistance
et de la Déportation à Thionville est sur la sellette dans le cadre du
réaménagement du quartier gare. A terme, l’Espace-Mémoire pourrait devenir le
seul endroit en Moselle où l’annexion par l’Allemagne nazie soit évoquée. Mais,
rien ne garantit que ce lieu devienne pérenne. Alors dans ses statuts, il est
indiqué qu’en cas de dissolution de l’Ascomémo, les Archives départementales de
la Moselle seront l’héritière des collections, mais celles-ci ne seront
intéressées que par la partie papier. Or une plaque de rue « Josef Burckel Strasse », témoin physique de cette
époque tragique, a autant d’intérêt qu’une photo d’une rue germanisée. La dispersion
de ce qui a été réuni et de ce qui va l’être encore serait dommageable. Quelle
mesure prendre pour rendre cela impossible ? Seule une volonté politique
forte comme celle qui a abouti à la création du musée de Gravelotte ou du mémorial
de Schirmeck peut garantir la pérennité de cet Espace.
Philippe Wilmouth,
président d’Ascomémo,
doctorant à l’université de Metz et Strasbourg
sous la co-direction de MM Cochet et Grandhomme
[7]Critères du Kreisleiter
de Thann, cités par Témoignage Chrétien,
opus cité, p.26.
[11]François
Goldschmitt, Tragédie vécue par la
population des marches de l’Est sous l’occupation
nazie, 4 tomes, Rech,
chez l’auteur, 1947-1948. François Goldschmitt, Alsaciens et Lorrains à Dachau, 5 tomes, Sarreguemines, imprimerie
Pierron, 1945-1947.
[12]On
peut signaler : Dieter Wolfanger, Nazification
de la Lorraine mosellane, Sarreguemines, éditions
Pierron, 1982, Société d’Histoire
et d’Archéologie de la Lorraine, Moselle et Mosellans dans la seconde guerre
mondiale, Metz, éditions Serpenoise, 1983, Pierre Rigoulot, L’Alsace-Lorraine
pendant la guerre 1939-1945, Paris, éditions PUF, 1997.
[30]Les
hommes représentent 82% des membres. Si, majoritairement, l’essentiel de ses
membres habite dans l’Ouest du département, depuis le livre « La bataille du 14 juin 1940 dans la Trouée de la Sarre » et les
interventions de Philippe Keuer, spécialiste de la ligne Maginot dite
« aquatique », les membres de l’Est du département sont de plus en
plus nombreux. Elle compte aussi une cinquantaine de membres hors du département,
essentiellement des expatriés de Moselle, ainsi qu’une dizaine d’étrangers.
[34]En
moyenne, une vingtaine de classes par an, du cours moyen et de 3e. En
2007, l’Espace-Mémoire reçoit l’agrément de l’Inspection de l’Education
nationale.
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