Les pages d'histoire

du Trimestre

 

L'incorporation de force des Mosellans dans les Waffen SS : une amnésie !

 

L ’incorporation de force des Mosellans dans la Waffen SS reste, plus de soixante ans après les faits un épisode méconnu de l’Histoire, méconnu parce qu’occulté. En effet, ce fait avéré et incontestable s’il est connu à défaut d’être reconnu par le législateur en Alsace, reste encore nié et refoulé en Moselle. C’est ce qui fait de l’incorporation de force dans la Waffen SS, non pas une tragédie, mais une succession de tragédies dans la tragédie qui opposent différentes mémoires divergentes. Tous les éléments sont réunis pour que l’amnésie s’installe après la mort des derniers témoins directs et la volonté d’oubli dont ces derniers ont – de manière aisément compréhensible – longtemps fait preuve face à ce passé qui ne passe pas.

Tout d’abord, il faut replacer les évènements dans leur contexte. L’entrevue de Winnitza du 9 août 1942 entre Hitler et les Gauleiters aboutit au décret du 19 août qui introduit le service obligatoire dans la Wehrmacht en Moselle. Le 25 août 1942, les classes 1920 à 1924 sont incorporées de force. Le 10 mai 1943, le service est rendu obligatoire dans la Luftwaffe pour les jeunes de moins de 18 ans. L’insoumission ou la désertion sont punies de mort et impliquent une responsabilité familiale (Sippengesetz). Parallèlement à ces mesures, la propagande pour les recrutements de volontaires pour la Waffen SS bat son plein dès le 6 janvier 1941 dans les colonnes du Metzer Zeitung qui titre « Wehrdienst in der Waffen SS . Morgen Annahme-Untersuchung von Freiwilligen in Metz“. Mais, face aux résultats squelettiques de l’appel au volontariat, les recruteurs de la Waffen SS finissent par recourir à l’incorporation de force en 1944.

                

Le texte de la proposition n° 3411 de loi du 21 novembre 2001 présentée par les députés Aloyse Warhouver et François Loos établissant le statut de réfractaire des Alsaciens et Mosellans relatif à l’incorporation de force mentionne encore que l’on peut attribuer aux nombreux jeunes mosellans déserteurs le mérite d’avoir :

« 1°- donné le mauvais exemple aux Allemands eux-mêmes

  2°- sapé le moral des armées, comme le reconnut en 1946 le maréchal Keitel au Tribunal de Nuremberg

  3°- diminué le potentiel de la Wehrmacht, alors que leur incorporation devait le combler

  4°- mobilisé de considérables forces militaires et policières allemandes pour exécuter les rafles et les perquisitions  particulièrement à partir de fin 1943

  5°- de par leur nombre élevé, ils ont été les sauveurs des six classes de Mosellans, nés entre 1908 et 1913, que le gauleiter Bürckel n’osa pas appeler en Moselle, et qu’il ne laissa enrôler aucun Mosellan dans les Waffen SS, ni aucun officier mosellan comme le fit le  gauleiter Wagner, par ailleurs encore plus expéditif en Alsace ».

 

Cette cinquième et dernière affirmation est à la fois historiquement fausse et doublement ambiguë. En effet, si d’une part, elle attribue au nombre élevé de Mosellans réfractaires et déserteurs, le fait qu’aucun Mosellan n’ait été incorporé de force dans la Waffen SS, on peut affirmer que c’est précisément le contraire qui s’est passé à partir de février 1944. Les nazis ont procédé à l’incorporation de force d’éléments peu sûrs au sein de la Waffen SS, justement pour limiter les risques de désertion en masse. De plus, cela revient à dire que les Alsaciens ont moins déserté que les Mosellans, ce qui est faux.

Mais l’erreur des députés peut être expliquée par le fait que le Gauleiter Bürckel n’a laissé aucune trace administrative de cette incorporation au sein de la Waffen SS tout simplement parce qu’il n’en a pas signé. Cela peut se comprendre du fait de ses mauvaises relations avec Himmler et de nombreux membres de la hiérarchie SS. Il n’était pas prêt à laisser les recruteurs de la Waffen SS s’attribuer « ses » Mosellans sur lesquels il disposait de pouvoirs discrétionnaires. Il n’avait en théorie de compte à rendre qu’à Hitler. Au début de l’annexion du moins. Au fur et à mesure des défaites, ce sont les impératifs militaires qui vont dicter la marche à suivre. Et nombre de Gauleiters vont voir leurs pouvoirs diminuer et remis aux mains des SS. L’existence de ces dissensions internes explique que les recruteurs de la Waffen SS, sous les ordres de Gottlob Berger, se soient passés de l’autorisation du Gauleiter en Moselle alors que Wagner, en meilleurs termes avec Himmler a avalisé la décision d’incorporer les Alsaciens au sein de la Waffen SS.

 Cette même erreur a été commise, pour les mêmes raisons, par l’historien universitaire alsacien Eugène Riedweg dans son livre «Les Malgré nous ». Cet ouvrage constitue, en dépit de ce genre d’erreurs et une certaine orientation régionaliste, une référence sur le sujet. Et ce, malgré sa focalisation sur l’Alsace qui témoigne d’une relative méconnaissance des particularismes mosellans, parfois niés dans leurs spécificités. L’annexion et l’incorporation mosellanes sont donc considérées comme des phénomènes de second plan bien qu’ils présentent parfois une plus grande diversité de situations et une plus grande complexité qu’en Alsace. C’est précisément le cas du sujet qui nous requiert.  Dans son chapitre sur l’incorporation dans les Waffen SS, Eugène Riedweg affirme : « En effet, les Alsaciens ont été les seuls « Volksdeutsche » de l’Ouest à être incorporés d’office dans ce type d’unités dont les membres ont tous été qualifiés collectivement de criminels de guerre par le tribunal international de Nuremberg[1] ».

Les pertes ayant une nouvelle fois considérablement augmenté dans la Waffen SS, on peut affirmer que des Mosellans furent affectés de force dans au moins huit divisions SS combattantes sur les 38 existantes. Il s’agit des :

1ère Panzerdivision Leibstandarte

2ème Panzerdivision Das Reich

3ème Division Totenkopf

4ème Panzergrenadierdivision Polizei

8ème Kavalleriedivision Florian Geyer

9ème Panzerdivision Hohenstaufen

18ème Panzergrenadierdivision Horst Wessel

21 ème Freiwilligen Kavalleriedivision der SS Maria Theresa

Diplôme d’attribution de l’insigne noir de blessé délivré à un incorporé de force de Nilvange.

Né en 1926, il est versé le 16 mars 1944 dans la Kriegsmarine à Lobau. Le 20 juillet, son convoi ferroviaire est arrêté en pleine forêt. Là, faute de bâteaux, tous les soldats du train doivent troquer leur uniforme contre celui de la SS. Versé dans la division SS Nordland, il est grièvement blessé à Libau (Lettonie) le 14 octobre 1944. Rapatrié dans un lazaret en Westphalie, il est fait prisonnier par les Américains le 2 avril 1945. Transféré dans différents camps de prisonniers, notamment à la Flèche, il rentre à Nilvange le 31 mai 1945.

Membre de la première heure d’ASCOMEMO, il nous a confié ses précieux documents avec ordre de ne les utiliser que sous le couvert de l’anonymat tant qu’il vivra. « Toi tu comprends, mais les autres… ». Merci à lui pour sa confiance.

Un épisode sur l’enrôlement de force des officiers de réserve ayant servi sous l’uniforme français dans la Waffen SS : le 1er juin 1944, un groupe de 50 officiers de réserve alsaciens sont convoqués à Cernay au camp d’instruction de la Waffen SS. La législation allemande en vigueur jusqu’en février 1944 ne permettant pas de mobiliser un officier d’une armée étrangère qui n’est pas volontaire, tous refusent de porter l’uniforme SS. Envoyés le 11 à Bruss, en Pologne, ils sont soumis à des pressions qui font céder huit d’entre eux. Malgré les menaces les 42 autres se retranchent derrière la loi allemande et sont déportés comme politiques à Neuengamme le 3 août 1944. 22 en sont morts.

L’incorporation des Mosellans dans la Waffen SS n’est donc pas due comme pour l’ensemble des incorporations dans la Wehrmacht à un décret officiel du Gauleiter Bürckel ni même, apparemment, à un accord tacite entre lui et les services de recrutement de la SS de Berger. Bürckel, à la différence du Gauleiter d’Alsace, Wagner, est mis devant le fait accompli face à l’urgence de la situation sur le front russe et c’est dans des conditions obscures et sans laisser de traces administratives locales que les classes de 1924 et 1926 sont incorporées pour moitié d’office dans les Waffen SS.

Yann Porte (à l’Assemblée générale d’ASCOMEMO mars 2006)

Riedweg Eugène, Les « Malgré nous », Histoire de l’incorporation d

 

 

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